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MARTIN, Jean : La théorie du Donut – un nouveau modèle économique pour une planète vivable

L’évènement se tenait le 19 février, dans le cadre de la Série de Conférences Dubochet, instituée par l’Université de Lausanne en 2017, pour le récipiendaire du Prix Nobel.

Après Aurélien Barrau, astrophysicien, poète et militant climatique, et Stéphane Foucart, journaliste au Monde, intervenu sur notamment les manœuvres délétères de Monsanto dans le dossier glyphosate, et l’industrie du tabac, il revenait à Kate Raworth, ancienne collaboratrice d’Oxfam et du PNUD, aujourd’hui enseignante à l’université d’Oxford, de partager sa réflexion sur la théorie du Donut dont elle est l’autrice.

Largement diffusée sur la scène internationale, cette théorie repose sur un modèle économique respectant les limites planétaires ; elle a pour but d’assurer à chacun une existence digne, répondant à ses besoins fondamentaux et garantissant une durabilité écologique.

Joignant les actes à la parole, Kate R. est intervenue en vidéoconférence, quoiqu’exceptionnellement – le jeu en valait surement la peine – elle était présente au sommet de Davos en janvier dernier.

Exposé novateur, énergique, éclairant, d’une personne charismatique, sérieuse et/mais souriante. La distance n’a pas altéré la vivacité du propos ni la force du débat qui a suivi, avec Julia Steinberger, une auteure principale du dernier Rapport du GIEC, et Camille Gilloots, spécialiste des énergies renouvelables et chargée de projet au Centre de compétences en durabilité de l’Unil.

Kate R., accompagnée rapidement par de nombreux autres experts, souligne l’inadaptation du concept de Produit Intérieur Brut dans le monde d’aujourd’hui *, comptabilisant positivement, par exemple, les dépenses de lutte contre les pollutions et nombre d’autres externalités négatives liées aux activités humaines ! Comme le modèle (néo-)libéral dont il est issu – le PIB a été inventé en 1932 par Kuznets, un économiste américain- cet agrégat ne répond plus aux exigences de transparence et n’a plus sa pertinence à l’âge de l’anthropocène. Un siècle plus tard, dit Kate R., il est urgent de le remplacer.

Elle fustige ensuite le fait que la grande majorité des milieux académiques restent accros aux prétendues lois du marché et au mantra de l’équilibre naturel entre l’offre et  la demande ; ces paradigmes devraient être revisités à la lumière de la théorie du Donut, une « boussole pour la prospérité » et  un « crucial navigation tool » (une collègue médecin qui vient de faire un MBA à la Faculté des HEC de Lausanne me dit qu’effectivement, ses professeurs étaient hyper-orthodoxes, regrettable …) « .

Dans un monde globalisé et libéralisé, l’intervenante insiste sur les nouvelles formes d’esclavage importé dont se rend coupable le système économique actuel fondé sur l’exploitation irraisonnable des ressources, y compris humaines, au détriment notamment des pays du Sud, et dont l’empreinte carbone est par ailleurs sous-évaluée.

L’économie est un service qui ne devrait répondre qu’au bien-être de l’humanité, en bonne équité, et sans jamais rechercher à maximiser les profits de certains au détriment des autres, insiste-t-elle, rappelant que l’économie est avant tout une science inexacte qui se dit « humaine » et, prosaïquement, devrait le rester. Ayons conscience que nos schémas de pensée et d’action sont hérités de visions et théories datant de plus d’un siècle au cours duquel le monde a été bouleversé. « Nous devons mettre en place un dispositif économique pour le XXIe siècle« , dit-elle, en référence aux travaux majeurs actuels de Julia Steinberger et son équipe, du projet Lili[1]

Encore faut-il agir sur plusieurs fronts à la fois, selon l’oratrice, et revisiter aussi nos régimes de démocratie représentative – ou même directe, comme la Suisse – et progresser également vers des processus décisionnels véritablement inclusifs et participatifs.

Ainsi la création d’assemblées citoyennes, apportant des éclairages différents sur les sujets de société qui leur sont soumis, pourrait permettre de sortir de son entre-soi (comme l’a montré en France la Convention citoyenne sur le climat, avec toutefois des effets réels tout relatifs).

Des intellectuels et des élus « classiques » se disent favorables aujourd’hui à l’expérimentation de telles approches. Une expression revient à plusieurs reprises dans son discours : « Nous voulons de nouvelles manières d’être et de faire, conçues pour être régénératives[2] « , … et qui soient résilientes et économes des ressources naturelles.

Nous devons opérer/avancer en fonction des limites planétaires, dit-elle ; cela n’impose pas des contraintes insupportables. Du reste, « nous pouvons nous épanouir sous certaines contraintes ! »  » la liberté ne vaut que par les limites qu’on lui met ».

Je le crois aussi, les limites planétaires seraient dès lors un facteur de santé et d’équilibre, et non pas une atteinte à nos libertés.

L’évènement a également permis à l’UNIL de présenter ses travaux en cours dans le sens de la théorie du Donut. Ainsi, l’Assemblée de la transition, composée d’une soixantaine d’universitaires tirés au sort, s’est réunie pendant un an et tenté de répondre à la question : « Comment guidons-nous toute une communauté académique sur le chemin d’un lieu de vie juste et sûr ? » ; elle a rendu son rapport en septembre 2023, proposant 28 objectifs et 146 pistes d’action (https://wp.unil.ch/assemblee-transition/le-rapport/).

Kate a jugé très encourageant ce type d’initiatives, parmi beaucoup d’autres, inspirées par une approche analogue à la théorie du Donut, dans des milieux/contextes économiques et socio-culturels diversifiés.

Est-il trop tard pour nous réformer ? Il s’agit là d’une question de conviction et de volonté, notamment politique

*Après un Robert F. Kennedy précurseur qui, peu avant son assassinat en 1968, avait vivement critiqué le PIB. Ses mots : « Yet the gross national product does not allow for the health of our children, the quality of their education or the joy of their play. It does not include the beauty of our poetry, the intelligence of our public debate. It measures neither our wit nor our courage, neither our wisdom nor our learning, it measures everything in short, except that which makes life worthwhile. »

[1] « Living Well Within Limits« . (https://lili.leeds.ac.uk/).
[2] « regenerative by design »

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