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MARTIN, Jean (2024) : Un point de vue sur la justice et le droit à la protection de la santé.
L’Ordonnance de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) statuant le 9 avril 2024 sur un recours des Aînées pour le climat a fait grand bruit, concluant que la Suisse manque à ses obligations et fait du tort à ses citoyen(ne)s, notamment les plus âgé(e)s, en l’absence de mesures gouvernementales suffisantes pour lutter contre le changement climatique.
Aux dires de certains, ce serait là l’expression de l’action néfaste de « juges étrangers » : cependant, la Suisse est membre du Conseil de l’Europe dont la CEDH est une institution et elle a signé la Convention éponyme ; il n’y a là rien de néfaste, ni d’étranger.
Pour d’autres, le judiciaire se serait indûment mêlé de politique. Pourtant, il appartient bien à cette autorité de connaitre de l’application de la Convention par les gouvernements ; ramener son rôle à la « bouche de la Loi » selon la formule de Montesquieu[1], relèverait d’une vision passéiste du rôle de la Cour dont la compétence s’étend explicitement à l’interprétation et à l’application de la Convention et de ses protocoles.
Comme le sont les médecins, les professions soignantes et de nombreux autres acteurs de la société civile, je me sens directement concerné par le sujet et interpelé par une telle myopie politique.
Questionnant directement la vie dans la cité, au sens grec de la formule, le sujet est en effet devenu éminemment politique au cours des dernières années. Il en va de notre droit à une sécurité, y compris sanitaire, garanti par l’article 2 de la Constitution fédérale, et en faveur d’un équilibre durable entre la nature et son utilisation par l’être humain.
A l’évidence, protéger la santé des citoyens impose aujourd’hui aux gouvernements d’agir sur les changements climatiques et d’en réduire les effets sur l’humanité. La morbidité et la mortalité liées à ces changements sont désormais scientifiquement avérés, en particulier sur les classes les plus âgées de la population, les femmes notamment.
Si l’affaire n’était pas si grave et sérieuse, on en sourirait : lesquels se scandalisent en effet de la décision des juges de la Cour et se refusent à en admettre le verdict qui s’impose aux autorités helvétiques, sont les mêmes qui souvent critiquent publiquement la désobéissance civile…
Du « droit-liberté » d’hier au « droit-créance » d’aujourd’hui, la santé n’est plus seulement un objectif moral. Sa protection est devenue impérative ; elle doit être adossée à une politique publique dotée de moyens adaptés et suffisants, à l’initiative et sous la responsabilité des pouvoirs publics.
Les temps changent … D’aucuns pensent que le progrès technologique répondra à la surexploitation des ressources naturelles, les métaux rares par exemple, quoique le développement récent, rapide et subit de l’intelligence artificielle (IA), n’est pas sans susciter de nouvelles peurs, y compris du point de vue de la sécurité et de la préservation des libertés individuelles, et au risque de bousculer nos démocraties.
Réfutons la myopie ambiante dans ce domaine et remercions le juge européen pour sa lucidité, et de savoir partager sa vision de la préservation des droits de l’homme, le droit à la santé tout particulièrement.
En effet, notre sécurité repose aussi et avant tout sur la protection de notre santé qui figure parmi les compétences de la Confédération ; elle devrait urgemment constituer un droit fondamental garanti par la Constitution fédérale.
[1] MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748, p. 327.
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