Recension

MARTIN, Jean (2024): L’intelligence animale – Cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants. POUYDEBAT Emmanuelle (2017). Ed. Odile Jacob 2017, 224 p. EAN13 : 9782738135155

 

Elève d’Yves Coppens et admiratrice de Jane Goodall, Emmanuelle Pouydebat est biologiste ; directrice de recherche au CNRS, elle officie au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, où elle étudie les comportements animaliers.

De l’avoir entendue à la radio suisse romande, à l’automne 2023, m’a convaincu de l’intérêt de lire cette scientifique (encore) pleine d’enthousiasme.

Un vrai plaisir en réalité. …

Bon signe, elle parle souvent de ses élèves et des travaux qu’elle a menés avec elles/eux.

Le titre de l’ouvrage n’interroge pas.  Clairement, l’autrice ne doute pas un instant de l’intelligence animale ; pour autant, s’il rassemble quantité de faits scientifiques objectifs, son ouvrage n’élude pas les controverses, nombreuses en la matière.

En introduction, « Ce livre met donc en évidence les différentes stratégies mises en place par les individus de diverses espèces (…) Il a pour but de démontrer que l’affirmation selon laquelle les humains sont les plus intelligents n’a pas beaucoup de sens au regard de l’évolution et du contexte » (p.27) et ensuite « Ce livre nuit donc gravement à la santé des idées reçues sur le monde animal, sa hiérarchisation et l’intelligence humaine » (p. 28).

Plus loin encore, une affirmation plus … militante : « Quand la vie apparaît, l’intelligence aussi » (p. 167) puis un rappel : « Sur le plan écologique, l’humain est un super prédateur diurne et omnivore qui vit dans des sociétés complexes » (p. 29).

Parmi les signes d’intelligence animale

« Les primates, en particulier les grands singes, ont pendant longtemps constitué les meilleurs exemples d’utilisateurs créatifs d’outils. De très nombreux exemples sont désormais connus comme la pêche aux termites, la casse des noix, l’utilisation de « harpons » pour chasser, la fabrication de « chaussures » pour se protéger les pieds. Ils mettent également en œuvre différentes techniques de préparation et extraction de la nourriture (…) De nombreux chercheurs n’hésitent pas à parler à ces égards de traditions voire de cultures » (p. 53).

Les corneilles seraient particulièrement intelligentes. Elles l’auraient démontré, selon l’autrice, lorsque, perchées sur un câble, elles lâchent une noix sur la route pour qu’elle soit écrasée par une voiture ; une utilisation de la voiture singulièrement différente de la nôtre…  Elles feraient aussi de la luge, sur un toit pentu enneigé (p. 72-73) tandis que les corbeaux calédoniens emploieraient au moins quatre types « d’outils » pour capturer les invertébrés logés dans le bois mort – témoignant ainsi d’une forme de comportement culturel, selon l’autrice (p. 72).

De même, les pigeons voyageurs et leurs facultés d’orientation questionnent encore les chercheurs ; ils interrogent l’autrice dans une section intitulée « Rentrer chez soi : si compliqué parfois » (p.114 – 121).

En outre, « Certains avancent que les poissons sont conscients, capables de souffrir et qu’ils possèdent des capacités de mémorisation à long terme » (p. 95) ; des vertébrés qui ne seraient donc pas aussi « inférieurs » que le prétend la systématique.

« En aucun cas l’utilisation d’outils n’est le propre de l’humain » (p. 96) ; certaines espèces animales, y compris marines, utiliseraient des outils ou des proto-outils : « Les origines de l’outil sont donc à chercher avant l’apparition des primates » et « L’outil n’a certainement pas le monopole de l’intelligence, intelligence qui n’échappe pas à la règle du monde vivant, celle de la diversité » (p. 67).

Selon l’autrice, les animaux joueraient également : « Le jeu existe chez un très grand nombre d’espèces, comme les raies, les grenouilles, les crocodiles, les araignées et il est parfois lié à des apprentissages » (p. 139).

Coopération, intelligence collective

« La notion de vie en groupe prend tout son sens au regard de l’innovation et de l’intelligence. Au point que chez certaines espèces on parle d’intelligence collective. Quand un groupe agit comme une seule unité cognitive, une intelligence » (p.144). Propos intéressant alors que l’intelligence collective est un atout de plus en plus souvent revendiqué pour optimiser le fonctionnement des groupes humains.

Il pourrait y avoir aussi transmission de certaines habiletés chez certaines espèces, par la « capacité d’acquérir des informations sur l’environnement via l’apprentissage social, influencé par l’observation ou l’interaction avec un autre individu » (p.143).

Des développements intéressants à la section intitulée « Coopère et deviens intelligent ou sois intelligent et coopère ? », illustrés pour plusieurs espèces (p. 154).

A propos des motivations possibles de la coopération – profit ou altruisme : « Il existe une espèce chez laquelle l’apparition et l’expansion d’égoïstes ou de tricheurs offrent des exemples fréquents. C’est l’espèce humaine » (p. 159). A mettre en parallèle avec les travaux de Servigne et Chapelle (https://biosphereetsociete.org/recension-lentraide-lautre-loi-de-la-jungle/).

Entre intelligence individuelles et coopération, l’empathie

L’empathie, qu’on croyait elle aussi spécifique à l’homme, aurait été observée chez plusieurs autres espèces animales. Ainsi : « Les chimpanzés sont connus pour leur capacité, entre autres, à consoler, et à éprouver des émotions face à des vidéos de leurs congénères. Les études de Lucy Bates et de son équipe ont montré que les éléphants sont dotés d’une empathie équivalente à celle des humains » (p.161-164).

Le texte est abondamment référencé par près de 300 notices bibliographiques, tirés certes en nombre de la propre expérience et des travaux de Pouydebat et de ses élèves.

Des réflexions éthiques et philosophiques très actuelles

« Il y a toujours un moment où l’arrogance nuit. Les humains se cachent derrière leur incroyable technologie mais rien ne pourra remplacer le concret et l’intelligence de situation (…) Il existe des intelligences propres à chaque contexte, à chaque espèce, à chaque individu. Et hiérarchiser une telle diversité relève de l’impossible » (p. 176-177).

Un avertissement que l’autrice n’est évidemment pas la seule à formuler : « En un laps de temps infiniment court, nous avons démontré notre capacité à détruire le milieu et de nombreuses espèces, dont peut-être la nôtre. Mais les autres animaux nous survivront, bien après notre disparition sur terre » (p. 182).

Et une citation de Lamarck, le grand naturaliste français : « L’homme par son égoïsme semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. Il fait que de grandes parties du globe sont maintenant nues et stériles… ». Un constat qui saute aujourd’hui aux yeux mais qui, au début du XIX° siècle, relevait d’une certaine intuition, en l’état des connaissances.

En conclusion, cette phrase d’Yves Coppens, récemment disparu et préfacier de l’ouvrage « Redire de temps en temps à l’humain que le mettre dans la nature est un pléonasme. Qui lui donne, en même temps qu’une leçon d’humilité, l’envie de participer avec tous à l’hymne à la vie en rapport avec le refus d’un dualisme artificiel ».

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Version pdf: Recension – L’intelligence animale – Cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants

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