Recension

LETHIER, Hervé (2021) : Un plan de survie de l’humanité, les objectifs de développement durable. LONGET, René (2020). Ed. Jouvence, 187 p. EAN13 9782889534159

 

Membre du Conseil de la Fondation Biosphère et Sociétés, expert reconnu en durabilité, René Longet milite et œuvre de longue date pour un monde équilibré des points de vue social, économique et environnemental, où l’humanité serait guidée par un développement harmonieux et respectueux des capacités limitées de la planète Terre, compatible avec sa « résilience », selon le terme technique aujourd’hui consacré.

Rien de bien nouveau allez-vous dire, un discours bien rôdé depuis le début des années 1970, où de sommet mondial en sommet mondial, de déclaration solennelle en déclaration solennelle et de stratégie en stratégie, tous les grands décideurs sur la planète se sont déjà maintes et maintes fois exprimés, tandis que l’humanité continue d’avancer à reculons et d’épuiser les ressources naturelles tout en compromettant les services environnementaux.

On le sait bien, les promesses et autres engagements n’engagent jamais que ceux qui les reçoivent ; sauf que désormais le sujet jadis largement confiné à des cercles élitistes, interroge désormais l’humanité toute entière, chacun de nous ayant, à son niveau et à son rythme, commencé à prendre conscience de la nécessité d’un nouveau paradigme où le bien-être ne reposerait plus sur une croissance conventionnelle, ni sur des comportements socio-économiques ne pouvant conduire qu’à un chaos où le futur n’aurait pas d’avenir, pour reprendre l’intitulé de l’ouvrage de Philippe Lebreton.

Il s’agit là pourtant d’un ouvrage très intéressant, à plusieurs titres, qui, s’il ne nous vaccinera probablement pas à lui seul contre nos comportements délétères de producteurs et de consommateurs bobos, devrait nous inciter à sortir de cette dynamique infernale et mortifère où le bien-être tutoierait nécessairement la croissance matérialiste.

Son chapitre 1 rappelle à nos mémoires, de façon accessible et intelligible, des évidences sur la nature et le niveau des périls qui montent sur cette terre, liés à des contextes d’inégalité et d’inéquité croissantes d’année en année, construits par une humanité égoïste et inspirée par un déni permanent où l’autre est toujours la cause de nos difficultés. Comment contrer ces évolutions ? C’est là la première question posée par l’auteur qui invite chacun à entrer en responsabilité, faisant écho à un principe établi par Hans Jonas il y a déjà plus de 40 ans.

La terre ne donne que ce qu’elle a, rappelle-t-il à nos esprits, et nombre de limites écologiques ont d’ores et déjà été atteintes, voire dépassé le non-retour, exigeant une réaction immédiate, y compris démographique a le courage de le souligner l’auteur, au risque de déplaire aux convaincus qu’il n’est toujours de richesses que d’hommes. Nous consommons trop et mal, et la terre se dérobe sous nos pieds, privant un nombre important et croissant d’entre nous de l’accès aux produits et services de base, en dépit des modestes avancées civilisationnelles qu’il ne s’agit pas de renier bien évidemment, en matière de santé, de culture et de lutte contre certaines formes de pauvreté. Soyons éco-compatibles et pour cela autolimitons la croissance de notre consommation ; faisons preuve de frugalité. Nous sommes près de « l’insurrection des consciences » et de la « sobriété heureuse » de Pierre RABHI dont se recommande l’auteur.

Pour ce dernier, une solution à nos maux … la « durabilité » ! Mais une durabilité de type « bioéconomique », à la René PASSET pourrait-on dire, où l’économie est au service des « capabilités » humaines – définies par l’auteur comme « le potentiel que peut atteindre un être humain dans une société donnée » – elles-mêmes inscrites et contraintes par les capacités limitées des systèmes naturels. Nous sommes loin des approches onusiennes, à la recherche d’une synthèse incertaine, pour ne pas dire introuvable, entre l’économique, le social et l’environnemental, et éludant en permanence les limites immanentes au « capital » naturel, clin d’oeil provocateur au milieu ambiant du capitalisme roi qu’il importe de dénoncer.

La voie : gagner sa vie à travers des activités à caractère positif ! En conclusion du chapitre, l’auteur donne des réorientations possibles permettant aux acteurs sociaux et économiques de dépasser une croissance trompeuse réduite au produit intérieur brut, et d’engager le combat vers de nouveaux équilibres, au prix d’une démarche systémique et inclusive, tirée par un effort de responsabilisation individuelle et collective.

Le chapitre 2 de l’ouvrage offre des pistes d’évolution au cœur desquelles se situent les « Objectifs du développement durable ». L’auteur décrit alors les 169 cibles à atteindre au sein des 17 grands objectifs de développement que l’on connait déjà ; il postule surtout que ces engagements multilatéraux, « clairs, concrets et cohérents », seraient de nature à permette à l’humanité de tracer sa feuille de route vers un monde meilleur et acceptable par la Planète, prenant toutefois la peine de préciser qu’il ne s’agit là que de simples orientations qui ne sauraient se suffire à elles-mêmes.

Pourquoi ne pas le suivre sur cette piste, même si le demi-siècle passé depuis la reconnaissance politique du développement durable, ne nous a objectivement guère permis de progresser vers un bien-être universel, bien au contraire s’agissant en particulier du changement climatique et de ses effets collatéraux, de la préservation de la biodiversité et de la consommation d’énergie.

D’autant que dans le chapitre 3, l’auteur opérationnalise ses intentions et fournit une liste de huit chantiers concrets qui pourraient paraitre « quasi- Sysiphiens » dans leur nature et kantiens dans leurs impératifs, s’ils ne rejoignaient pas sous une forme résumée nombre de pistes déjà identifiées, sinon tracées dans les nombreux engagements internationaux déclinés au chapitre précédent.

Bref, depuis les Grecs, l’on sait que la répétition est l’art de la pédagogie ; c’est là le principal intérêt de l’ouvrage que de livrer au lecteur une somme documentée de réflexions et de recettes sur un développement durable teinté d’impacts positifs, fondés sur de nouvelles chaînes de valeur et enrichis des règles d’une économie circulaire et solidaire. Une boite à outils dont l’humanité dispose pour faire moins mal et surtout se faire moins mal ; un pensum condensé et concret qui, même si le paysage ambiant n’est pas tout rose, ouvre sur un cri d’appel, plus que de détresse, au chapitre suivant.

Le chapitre 4 et dernier de l’ouvrage, cherche en effet à mobiliser les fantassins plus que les troupes, quoique le social et le solidaire inspirent l’auteur tout au long de son appel à une mutation collective mais où chacun a son rôle.

Tout en rappelant les aménités procurées par les trente Glorieuses, l’auteur invite à passer d’un système où l’écologique et le social sont soumis à l’économique, à un modèle guidé par l’être et non plus par l’avoir, invitant chacun à penser et agir différemment. Les années 60 ont été une période clef pour la prise de conscience que le paradigme actuel du bien-être, tel qu’illustré par la croissance, devait être urgemment revisité. La difficulté à prendre les bonnes décisions, serait toutefois quasi physiologique dans la mesure où « notre cerveau est configuré pour en demander toujours plus, même quand ses besoins sont satisfaits » ; dès lors, devons-nous nous résigner ou nous doper ?

L’excuse de ne pas savoir n’est plus recevable et il est temps, déjà trop tard diront certains, d’amorcer des cercles vertueux dont l’auteur puise certains fondamentaux dans l’Agenda 2030, et notamment de développer, selon lui, une économie de « l’utilité, de l’inclusion et du bien commun », reconnaissant et respectant le « travail de la nature ». En fait, nous n’avons d’autre choix que de réagir pour ne pas disparaitre. Bref, une relecture de la vieille approche économique de l’internalisation des externalités où les biens et services environnementaux sont pleinement pris en compte et, mieux, guident le développement de demain.

Conclusion

« Agir ou subir ». C’est là le message compulsif de René LONGET qui, en d’autres termes, nous invitent à admettre la fin d’un monde, pour ne pas avoir à subir la fin du monde.

A la différence de l’approche collapsologique d’un Yves Cochet et des théories de la décroissance inspirées par Théodore MONOD et par Edgar MORIN dans sa pensée « biologique », reprises un peu plus tard par André GORZ, René LONGET adopte dans cet ouvrage une posture positive qui invite chacun de nous à réagir et se mobiliser contre le suicide collectif où nous conduisent nos comportements socio-économiques actuels.

S’il fallait trouver une limite à l’approche très institutionnelle et matérialiste de l’auteur, ce serait dans la quasi-absence dans cet ouvrage de toute référence à cette « lumière blanche de la sagesse » résultant de toutes les couleurs de l’arc en ciel de la vie, vers laquelle nous adresse Matthieu RICARD dans sa quête de liberté, aux côtés de Alexandre JOLLIEN et de Christophe ANDRE. Mais peut-on attendre de l’homme qu’il vainque son acrasie naturelle ?

(1) Philippe LEBRETON (2012), Le futur a-t-il un avenir ? Pour une responsabilité socio-écologique, Paris, Les Éditions Sang de la Terre, Écologie-Environnement-Société. Ouvrage accessible en ligne : http://classiques.uqac.ca/contemporains/lebreton_philippe/le_futur_a-t-il_un_avenir/le_futur_a-t-il_un_avenir.html
(2) Hans Jonas (2013), Le principe responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique, traduction française, Champs Essai (1ère édition en allemand en 1979)
(3) Jean BODIN (1576), Les Six Livres de la République.
(4) André GORZ (2008), Ecologica, Paris, Galilée, coll. « Débats ».
(5) Marc HALEVY (2010), Le principe frugalité. Une autre croissance pour vivre autrement, Dangles (Groupe Piktos), Collection Prospective.
(6) Pierre RABHI (2016), La Convergence des consciences, Le Passeur Éditeur. 
(7) Pierre RABHI (2010), Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud.
(8) René PASSET R. (1997). L’économique et le vivant.  Paris, Payot, 287 p. René PASSET R. (1998). Le développement durable : de la transdisciplinarité à la responsabilitéin Mélanges en l’honneur d’Henri Bartoli, L’économie une science pour l’homme et la société, Paris, Publications de la Sorbonne.
(9) Sébastien BOHLER (2019), Le Bug humain. Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Robert Laffont. 
(10) Yves COCHET (2020) Devant l’effondrement. Essai de collapsologie,  Les Liens qui Libèrent (Voir également les ouvrages de Serge LATOUCHE sur le sujet de la décroissance).
(11) CF. notamment, Les Carnets de Théodore MONOD, rassemblés par Cyrille MONOD, Le Pré aux Clercs, 1997.
(12) Edgar MORIN (1980), La méthode II. La Vie de la vie, Paris, Ed. du Seuil.
(13) Sous le nom de Michel BOUSQUET (1972), article paru dans le Nouvel Observateur, no 397 du 19 juin 1972.
(14) Christophe ANDRE, Alexandre JOLLIEN et Matthieu RICARD (2020) Abécédaire de la sagesse. L’iconoclaste,  Allary Editions.

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