Recension
LETHIER, Hervé (2021) : The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review (2021) [en ligne]. HM Treasury, 610 p. Disponible à l’adresse : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/962785/The_Economics_of_Biodiversity_The_Dasgupta_Review_Full_Report.pdf
Passé relativement inaperçu des grands media, le Rapport Dasgutpa a été publié début 2021 ; il fait un point utile et documenté sur les relations entre l’économique et le Vivant.
Après avoir dressé un état des lieux du sujet et rappelé les principales raisons notamment économiques qui font qu’aujourd’hui la planète fonctionne de travers et que le Vivant disparait progressivement, l’auteur fournit une feuille de route qui permet de mesurer le trajet à accomplir pour inverser, pensent les plus optimistes d’entre nous(1) sinon ralentir cette douce évolution vers un chaos qui serait terrible pour l’humanité, pour les plus collapsologues et autres tenants de l’effondrement.
Où en sommes-nous ?
Le discours n’est pas vraiment nouveau.
On y retrouve traités en première partie les fondamentaux de l’écologie, ainsi que rappelées les principales aménités que l’humanité tire du Vivant, le plus souvent avec beaucoup d’indifférence et peu de conscience, encore moins d’éthique. Nous parlons bien d’une éthique qui ne serait pas d’essence kantienne évidemment où l’homme se croit toujours au-dessus du jeu, ni anthroposophique comme le revendiquent benoitement les chantres de cette philosophie(2), mais d’une éthique environnementale, faite d’un peu de connaissances du Vivant, de beaucoup de respect des autres, d’humilité socratique également, de modération et d’autolimitation.
L’auteur traite ensuite le sujet des externalités ; inauguré dans les années 1920 par le fondateur de l’économie du bien-être, Arthur Pigou(3), la théorie des externalités repose sur le fait que l’évaluation économique élude ou sous-estime tout du moins les coûts environnementaux de nos choix économiques ; dans un sophisme qui ne fait plus illusion, on en arrive à conclure que guidé par une croissance plus financière qu’économique, notre bien-être dépendrait d’un système où plus nous polluons, plus nous dégradons, plus nous détruisons, plus nous produisons, plus nous consommons, plus nous serions heureux. Que dire dans la suite de cette logique trompeuse, des prétendues vertus mais surtout des perversités bien réelles d’une opérationnalisation d’un tel système, à la fois par la compensation environnementale et au moyen du discours sur la restauration des biens et services environnementaux ?
Reconnaissant que les pouvoirs publics sont généralement réticents à l’aborder, Partha Dasgupta questionne aussi le thème central de la croissance démographique, en particulier au travers des inégalités de toutes natures auxquelles conduit cette autre croissance dont l’insécurité sanitaire et alimentaire sont deux faces du même miroir, comme dans le Rouge et le Noir de Stendhal, celui de la pauvreté.
L’histoire qui se répète, depuis le début des années 1970, dans ses effets délétères, quels que soient les gouvernements et autres institutions en place (locales, nationales et internationales), est malheureusement un roman vrai, pour paraphraser Paul Veyne(4).
Pour l’auteur, le Vivant et l’homme sont en danger ; le paiement des services environnementaux et la reconnaissance des ressources naturelles comme des biens communs, idéalement la confiance en l’autre, seraient parmi les voies possibles de progrès, en renforcement d’un droit qui, s’il n’a de cesse de se développer, montre aussi chaque jour les limites à son application.
Faut-il toutefois être optimiste pour espérer fonder nos sociétés sur cette confiance qui, trop souvent, comme les promesses, n’engage que ceux qui la reçoivent.
L’arbitrage serait une autre piste qui consisterait pour chaque acteur à comprendre la nécessité d’ajuster son propre comportement économique, en fonction des gains espérés et du temps. L’approche dénote curieusement toutefois avec la règle de la maximisation des profits individuels que l’auteur souhaite par ailleurs revisiter, intimant à chacun d’autolimiter ses attentes, non pas dans un intérêt collectif mais pour une satisfaction toute personnelle.
Peut-on pour autant renier une telle démarche qui semble fondamentalement guider le comportement des espèces, y compris l’homme, depuis que le Vivant est apparu sur terre, sans pour autant exclure le besoin et ni contester la nécessité de socialiser ? L’homme seul est toujours en mauvaise compagnie, disait Paul Valery(5) ; ainsi l’intérêt de chacun passerait par un partage avec les autres, cela est plus rassurant.
La crise sanitaire actuelle nous rappelle plutôt bien ces évidences ; elle a l’avantage de nous inciter à en redéfinir les règles et les principes mais, ne nous leurrons pas, d’abord et cyniquement par instinct de survie personnelle, plus que par commisération.
Que devons-nous faire ?
L’auteur réserve la seconde partie de son Rapport à tracer la voie en 12 pages seulement sur les 81 du Rapport. Cette voie serait-elle si courte ? Il est vrai que beaucoup de choses ont déjà été dites en la matière et que le répéter encore, relève pour l’essentiel d’un art consommé depuis les Grecs, qui trouve cependant encore toute son utilité, dans l’actualité environnementale et sanitaire.
Respecter le Vivant dans ses valeurs, quitte à le restaurer dans ses fonctions, réduire notre empreinte écologique en révisant nos modes de production et de consommation, raccourcir les circuits et harmoniser les fiscalités, accélérer la transition démographique au profit en particulier des femmes et des communautés, revisiter les indicateurs de croissance en internalisant au mieux les dés-économies et en les minimisant et en créant par exemple un indice de développement humain ajusté aux pressions exercées sur la Planète (IDHP)(6), transformer notre gouvernance et le fonctionnement de nos sociétés, réviser notre système financier en intégrant au mieux les risques naturels et en nous rapprochant de la sphère réelle, réinventer la démocratie et la participation de la société civile dans la décision publique, reconnecter l’homme à la nature par l’éducation, reconnaitre la valeur intrinsèque du Vivant en promouvant la spiritualité et en rénovant le Sacré, telles sont les pistes proposées par Partha Dasgupta dans sa feuille de route.
Refaire une fois encore les mêmes analyses, répéter les mêmes slogans, produire les mêmes recommandations, tout cela peut paraitre inutile et lassant. Mais peut-on précisément se lasser de l’essentiel et le laisser s’étioler à l’ombre d’un printemps qui ne serait pas simplement silencieux, comme celui de Rachel Carlson(7), mais éteint, pour l’humanité a minima ? Nous ne pouvons, ni ne devons, nous y résoudre évidemment.
Il ne s’agirait que de dépasser notre anthropocentrisme, pour mieux affronter la crise écologique ; une petite affaire en réalité … qui exigerait pour certains une régénération de la politique, la protection de la planète et l’humanisation de la société(8).
(*) L’auteur : né à Dacca, au Bangladesh, Partha Dasgupta a passé une partie importante de sa vie en Inde où il a débuté ses recherches avant de s’établir au Royaume Uni dans les années 1960. De nationalité britannique, l’auteur est aujourd’hui Professeur émérite d‘économie à l’Université de Cambridge ; honoré par de nombreuses universités dans le monde, ses travaux l’ont conduit à étudier en particulier les relations entre la croissance économique et les ressources naturelles, sujet du présent rapport répondant à une commande du gouvernement britannique et dont il a encadré la publication.
(1) https://www.gov.uk/government/publications/final-report-the-economics-of-biodiversity-the-dasgupta-review
(2) Sur le sujet : Larrère, C. et R. (2020) Le pire n’est pas certain. Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Edition Premier Parallèle.
(3) Steiner, R. (1998) Les lignes directrices de l’anthroposophie, traduit par Bideau, G. et P.H., Edition Novalis.
(4) Pigou, A.C. (1920) The Economics of Welfare, London: Macmillan and Co.
(5) Veyne, P. (1971) Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie, Paris, Edition du Seuil.
(6) Valery, P. (1941) Tel quel, NRF, Edition Gallimard.
(7) PNUD (2020) Rapport sur le développement humain. La prochaine frontière – Le développement humain et l’Anthropocène, 463 p. (http://hdr.undp.org/sites/default/files/hdr2020_fr.pdf).
(8) Carlson, R. (1962) Silent Spring.
(9) La Tribune (2020) Conférence enregistrée dans le cadre de la 5e édition du forum d’idées « Une époque formidable » (https://www.franceculture.fr/conferences/acteurs-de-leconomie-la-tribune/changer-de-civilisation-plus-que-jamais-cest-lheure).
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