Recension

LONGET, René (2022) : Réenchanter notre relation au vivant, Ecopsychologie et écospiritualité. EGGER, Michel Maxime (2022). Ed. Jouvence, 248 p. ISBN 4500086893

 

Dans son ouvrage, Michel Maxime Egger présente un certain nombre d’auteurs et en rappelle les perspectives et références, sans jamais tomber dans la mouvance New Age. Les noms d’Aerne Naess, Thoreau, Carl Gustav Jung, et l’approche des Peuples autochtones, reviennent ainsi souvent au fil des pages.

Partant de la gravité des enjeux écologiques actuels, l’auteur souligne « le hiatus qui subsiste entre l’abondance des informations sur l’état de la planète et l’insuffisance des changements de comportement, sans compter celle des mesures politiques ». Notre incapacité individuelle et collective à prendre la mesure de ce qui nous attend et à opérer les changements nécessaires est en effet impressionnante.

Du déni à la redécouverte du lien

Il est vrai que « nombre de problèmes écologiques restent en partie abstraits, car globaux et à long terme » et qu’« il n’est pas si simple de passer du consumérisme à la sobriété volontaire et de donner corps à des alternatives ». La « foi dans les pouvoirs de la technique » donne une fausse confiance et aide à écarter les mauvaises nouvelles. Il faut dire qu’« à force d’être répétées, les mêmes informations alarmantes se banalisent et finissent pas créer l’inverse de l’effet recherché : une forme d’insensibilité et de saturation, voire de rejet et d’allergie ». Il s’ajoute que « nous sommes comme programmés pour adopter des comportements qui ont aidé à la survie de notre espèce, mais qui ne sont plus adaptés aux défis actuels », constat que le neuropsychologue Sebastien Bohler a bien mis en évidence dans son ouvrage Le Bug Humain.

Sur un plan pratique, « les limites des campagnes classiques de sensibilisation – à base d’exhortations morales, d’arguments rationnels, voire (…) la peur ou la culpabilité » sont patentes et nous obligent à aller au fond des choses. Et pour cela, de se poser la question de « quelle est l’origine de notre relation dévastatrice à la nature ? Pourquoi l’être humain, avec son intelligence rationnelle, se comporte-t-il de manière si destructrice ? Une société qui s’obstine à dégrader l’habitat naturel, dont elle dépend pour vivre, (…) n’est-elle pas malade ? « demande Michel Maxime Egger.

En effet, depuis la Renaissance, « l’être humain s’est (…) considéré comme le centre et la mesure de toutes choses. (…) En identifiant la liberté à l’émancipation par rapport à la nature, en particulier grâce à la technique, l’être humain s’est de plus en plus ‘dé-naturé’, au point de devenir hors-sol. » Vu par un autochtone du Canada, cela donne : « Saviez-vous que les arbres parlent ? L’ennui, avec les Blancs, c’est qu’ils n’écoutent pas ». Et l’on commence à percevoir que pour pouvoir changer de paradigme, il faudra faire appel aux couches profondes de notre être et reconnaître que « les déséquilibres écologiques sont en partie la manifestation de nos désordres intérieurs ».

Pour un autre chef traditionnel autochtone, cette fois-ci d’Amazonie, « afin de sauver la Terre, il faut changer l’esprit des humains ». Par exemple, « cesser de voir l’autre – humain et non humain – comme objet de conquête, rival ou ennemi » et faire que « la coopération et l’entraide l’emportent sur la compétition et la loi du plus fort ». Et l’auteur de conclure que « nous ne sortirons pas du saccage de la planète tant que nous n’aurons pas converti notre regard sur la Terre et la place de l’être humain en son sein » : « on ne pourra pas prendre soin durablement du jardin de la Terre sans cultiver le jardin de notre âme ».

Ce que je fais à la nature, je le fais à moi-même

Heureusement, « la coupure avec la nature n’est pas inhérente à notre être, mais une perception subjective qui est la manifestation de l’égo dans sa volonté de maîtriser le monde extérieur ou de s’en protéger ». Et il « subsiste en chaque personne comme une capacité originelle à une relation harmonieuse avec la Terre, les autres », «Terre dont nous sommes originaires et dont nous avons gardé une mémoire ».

« Les cris de la Terre (…) peuvent être l’aiguillon qui ouvre le cœur. C’est par les blessures que la lumière peut entrer en nous », « car la Terre a une conscience ». Dès lors, « point (…) de ‘il faut’, mais un ‘je ressens le besoin ou la nécessité intérieure de’ » à travers « la redécouverte d’autres modes de perception et de connaissance ». « Notre lien à la nature est intrinsèque à notre être (…). Il peut être ignoré, mais non pas définitivement perdu ». Autrement dit, « abîmer la Terre, c’est abîmer notre être, et inversement » : ce que je fais à la Terre, je le fais à moi-même. Pour les écopsychologues, « l’humanité se réalise non en s’émancipant de la nature, mais en y ‘retournant’ et en se reliant à d’autres formes de vie ». « Sortir de la vision matérialiste, mécaniste et mercantile de la nature… »  n’est alors plus un effort mais une libération, un retour à de meilleurs équilibres.

Egger souligne le « lien ontologique (…) entre les êtres humains et le reste du vivant », que « le monde est un continuum vivant où tous les êtres vivent les uns par les autres », « où tout est fondamentalement un ». « Nous sommes constitués des mêmes éléments que les étoiles, la Terre et les océans. Le cosmos est inscrit au tréfonds de notre corps et de notre âme ».  Notre corps « n’est pas séparé du corps du cosmos », « nous formons une seule chair avec le cosmos ». Cette prise de conscience passe par un raisonnement certes, mais surtout par le ressenti de ce lien, « des expériences de reliance intime entre l’être humain et les entités autres qu’humaines ».

« L’écopsychologie et l’écospiritualité mettent l’accent sur l’expérience subjective, sensorielle, émotionnelle, imaginaire et mystique comme source de la connaissance, ainsi que sur la connexion profonde avec le vivant ».  D’ailleurs, « La science s’est (…) rouverte au mystère. Elle n’exclut plus une intelligence supérieure qui dépasse ce que la raison peut observer, mesurer et connaître ». Il s’agit ainsi de reconnaître la pluralité et la complémentarité des modes de connaissance. Au cœur de l’ouvrage de Michel Maxime Egger, il y a la mobilisation des ressources de la spiritualité et de « redonner à la religion (du latin religare : relier) toute sa signification : tisser des liens spirituels avec le mystère du sacré et la communauté du vivant, comme fondement d’engagements responsables pour la protection de la vie, de la Terre et des générations futures ».

Quelles pratiques ?

Le « sentiment de parenté avec toutes les (…) formes de vie » peut être vécu et pratiqué en réactivant « l’empreinte divine que chaque être – humain et autre qu’humain – porte dans son être profond », en percevant, « au-delà du voile des apparences, la Présence qui habite la Création » et en étant « saisi par le divin présent dans la nature ». « Plus nous descendons profondément dans notre psyché, plus nous rejoignons l’âme du monde », ce « mythe transculturel », sachant que la religion des origines, le chamanisme ou « l’animisme est une manière empathique de nous relier au monde naturel ». Dès lors, n’étant plus un lieu précis, une délimitation entre ce qui est habité par le divin et ce qui ne l’est pas, un lien vivant entre soi et le tout, « le sacré (…) ne sépare plus mais relie ».

Mais attention, cette activation d’un lien immémorial ne va pas de soi, « l’inconscient (…) est habité par des forces archaïques et sauvages qui peuvent aussi être négatives et discordantes », les risques existent « d’une idéalisation romantico-nostalgique des peuples premiers <et> d’une dénaturation des cultures indigènes » et « l’espérance sans la lucidité peut tomber dans l’idéalisme naïf »; « la nature (…) n’est pas que vie, harmonie, bienveillance et protection. Elle est aussi mort, violence, menace et souffrance ». Egger cite Yuval Noah Harari, rappelant qu’« en atteignant l’Australie il y a environ 45’000 ans, les premiers êtres humains auraient causé l’extinction de plus de 90% des grands animaux présents ; le même carnage s’est reproduit il y a 15’000 ans en Amérique où 70% des espèces ont été exterminées ».

Il ne s’agit donc pas de se laisser aller à une quelconque rêverie romantique mais à apprendre à retrouver le fil de notre capacité à rejoindre, grâce à notre âme, celle du monde, qui relie les parties au tout, sans pour autant rejeter notre capacité d’analyse et de réflexion.  Merci à l’auteur pour cette belle somme, qui tend toutefois aux répétitions et à un certain foisonnement, et qui gagnerait à être davantage resserrée et aussi plus explicative. Car une fois exposée la nécessité de réactiver nos facultés de perception holistiques et spirituelles, on aimerait en savoir davantage sur les pratiques à suivre… ou à éviter.

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