Recension

RENS, Ivo (2018) : Nous voulons des coquelicots. NICOLINO, Fabrice et VEILLERETTE, François (2018). Ed. LLL (Les Liens qui libèrent), 128 p. EAN13 9791020906656

 

Un appel pour rendre illicite en France l’empoisonnement systématique de l’agriculture, des aliments et des habitants.

C’est une interpellation pressante et tragique que lancent Fabrice Nicolino et François Veillerette, deux militants écologistes, dans ce pamphlet dévoilant les noms des principaux responsables de l’empoisonnement quotidien des Français par les fabricants de pesticides. Ce n’est pas par hasard que les pesticides ont été rebaptisés “produits phytosanitaires” avec la complicité de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), tous deux ardents partisans de l’industrialisation forcenée de l’agriculture, mais aussi avec l’accord de pratiquement tous les ministres de l’Agriculture depuis plus d’un demi-siècle et dans l’indifférence sinon la complaisance de la majorité des scientifiques ayant compétence en la matière.

En réalité ce pamphlet brûlant reprend l’argumentation que nos auteurs avaient développée dans un livre bourré de références scientifiques intitulé Pesticides. Révélations sur un scandale français, paru en 2007 à la Librairie Arthème Fayard, 384 pages. Il la reprend en la complétant par une analyse critique des événements intervenus depuis 2007 dont aucun n’a tant soit peu infléchi la course vers la catastrophe prédite dès 2007 et dont nous voyons, chaque année, les signes avant-coureurs se multiplier : propagation des cancers chez les humains, accroissement des anomalies génétiques chez les mammifères, quasi disparition des insectes estivaux, hécatombe des abeilles et des insectes pollinisateurs, réduction drastique de nombreuses espèces d’oiseaux, altération accélérée de la biodiversité notamment dans les zones humides…

Comment pareils dérèglements du vivant peuvent-ils ne pas mettre en cause l’empoisonnement industrialisé du vivant par les pesticides ? A notre ère prétendue scientifique, comment la cause fondamentale de ces phénomènes n’est-elle pas unanimement dénoncée et combattue ? A cette question, nos auteurs font valoir dans leurs deux ouvrages le miroir aux alouettes de l’accroissement formidable des rendements agricoles attendu des pesticides et la propagande scientifiquement orchestrée des multinationales fabriquant les produits phytosanitaires, autrement dit les pesticides A cela s’ajoutent leurs politiques d’intéressement des administrations, des instituts de recherche, des universités et parfois même leur corruption, enfin leur lobby omniprésents auprès des centres de décisions. Mais dans l’ouvrage de 2007, on trouve une explication plus fondamentale et insidieuse qu’ils appellent l’“hypercompartimentage” de la recherche scientifique.(1) A la vérité, la compartementalisation, voire l’hypercompartementalisation de la recherche scientifique – autrement dit son cloisonnement disciplinaire – est un héritage du Projet Manhattan de fabrication des premières armes atomiques où cette option fut conçue et mise en œuvre par le responsable dudit Projet, le Général Groves, pour en garder seul la maîtrise, pour en garantir le secret et pour éviter la contestation des scientifiques mis à contribution. (2)

Les auteurs de Nous voulons des coquelicots ont opté pour une présentation chronologique de leur sujet en six chapitres intitulés respectivement :

1.- Quand le DDT était un miracle.

2.- Comment le crime est apparu.

3.- Quand la politique ne sert à plus rien.

4.- La ridicule mise en scène du Grenelle.

5.- Ecophyto, une chimère de plus.

6.- L’éternel retour des poisons.

Dans leur premier chapitre – “Quand le DDT était un miracle” – les auteurs évoquent les ravages causés aux cultures de pommes de terre par l’invasion des doryphores au lendemain de la première Guerre mondiale, la synthèse du DDT réalisée dès 1874 et la découverte de ses propriétés insecticides par le chimiste suisse Paul Hermann Müller. Les Américains en furent les premiers utilisateurs à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’écrivain Primo Levi “relate comment il fut ainsi sauvé du typhus alors qu’il venait d’échapper à l’enfer d’Auschwitz”.

En France, un ingénieur agronome, Fernand Willaume a compris avant d’autres que l’avenir est aux nouveaux pesticides. Il crée en 1945 un “Comité de propagande pour la défense des cultures” qui lance une revue de combat Phytoma livrée à 35’000 abonnés. Un autre agronome, Jean Bustarret, qui avait beaucoup œuvré avant la Guerre contre les ravageurs, devient le rapporteur devant le Conseil d’Etat du projet de création de l’INRA. Celui-ci, dès sa naissance “en 1946 est d’emblée entre les mains de l’industrie des pesticides.” En décembre 1956, Bustarret ouvre la séance inaugurale des Journées techniques organisée par la Fédération nationale de défense des cultures au cours de laquelle sont vantées les prouesses du 2,4-D, un herbicide que l’on sait aujourd’hui cancérogène…

Quelques années plus tard, de 1961 à 1971, l’armée américaine procéda à l’épandage de l’agent orange sur le Vietnam en vue de défolier les voies d’approvisionnement des combattants communistes. “Près de soixante ans après, le poison chimique déversé sur les sols a pénétré tous les organismes vivants, humains compris. La troisième et la quatrième génération des premiers exposés souffrent d’une quinzaine de pathologies, souvent lourdes. Des estimations prudentes parlent de trois millions de victimes encore vivantes. Or l’agent orange est un mélange à parts égales de deux herbicides : le 2,4,5-T et…le 2,4-D. Celui vanté par Bustarret ? Celui-là même.”

Parallèlement, l’écrivaine américaine Rachel Carson publia en 1962 Silent Spring qui suscita une intense controverse politique, surtout aux Etats-Unis, sur les dégâts environnementaux causés par les insecticides et particulièrement par leur épandage. La traduction en français parut sous le titre de Printemps silencieux chez Plon en 1963, avec une préface “extraordinaire” de Roger Heim qui écrivait notamment : “On arrête les “gangsters”, on tire sur les auteurs de “hold-up”, on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels -, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leur imprudence ?”

Or Roger Heim est un personnage de légende. Ingénieur chimiste de formation, il entre dans la Résistance dès le 1er juin 1942, il est arrêté et déporté l’année suivante aux camps de Buchenwald et de Mauthausen. Et en 1963, il est tout à la fois directeur du Museum d’histoire naturelle, le temple du savoir naturaliste, et président de l’Académie des sciences. Avec le mouvement de mai 1968, le message de Printemps silencieux paraît devoir l’emporter.

Néanmoins, l’industrie chimique et le puissant lobby des pesticides organisèrent en France une campagne de décrédibilisation de Rachel Carson, comme ils l’avaient fait et le faisaient encore aux Etats-Unis. La FNSEA, adepte de l’industrialisation de l’agriculture lui emboita le pas.

Le chapitre II intitulé “Comment le crime est apparu”, retrace le spectaculaire redressement de perception publique des pesticides opéré par l’industrie chimique entre 1970 et 1981, date de l’arrivée au pouvoir de Mitterand et de la gauche.

François Le Nail, successeur de Willaume à la tête de l’industrie des pesticides, décida de contrattaquer et, pour ce faire, il consulta, en 1969, un certain Marcel Valtat qui sera, quelques années plus tard “le désinformateur en chef du dossier de l’amiante”. Il avait été décidé que se tiendrait en 1970 un “Congrès international de phytopharmacie”. Ce congrès se tint à Paris dans les locaux de la Faculté de médecine de la Rue des Saints-Pères. Quoi de plus rassurant ? Affluèrent plus de 1’800 participants venus du monde entier. Comme il se doit, la France était représentée non seulement par l’INRA, mais par les membres du Comité scientifique où siégeaient aux côtés de Bustarret que nous avons déjà présenté, Elie Ventura et Henri Bourron qui se succéderont à la tête du service d’homologation des pesticides en France, l’instance responsable d’accorder les autorisations de mise sur le marché.

“Valtat a même réussi à convaincre Jacques Duhamel, alors ministre de l’Agriculture de Georges Pompidou, de prononcer une allocution de bienvenue au congrès, accompagné par l’orchestre symphonique de la Garde républicaine.”

L’une des réussites de ce congrès fut de consacrer la mutation linguistique des pesticides en produits phytosanitaires, accréditant le masque médical des poisons. “L’industrie, devenue criminelle, mais intouchable, a gagné la partie.” Suivent une série, accablante, de citations du journal Le Monde qui relaient utilement la propagande mensongère de l’industrie chimique vantant notamment le côté biodégradable des pesticides organophosphorés mais taisant leur origine militaire, issus qu’ils sont des gaz de combat.

Aucune force ne s’opposait au lobby. Le crime était réellement parfait.”

Le Chapitre III, intitulé “Quand la politique ne sert plus à rien” est consacré à deux scandales, celui du chlordécone qui concerne surtout les Antilles, celui du gaucho, tueur d’abeilles. Le premier de ces scandales se déroule entre 1981 et 2003, le second de 1992 à 2013, mais se poursuit de nos jours encore. Ils se déroulent donc sur une période qui englobe les deux septennats de Mitterrand (1981-1995), la présidence de Jacques Chirac (1995-2007) et celle de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et sous des gouvernements fort divers, y compris dits de “cohabitation”.

C’est en 1951 déjà que deux chimistes américains synthétisent une molécule aussi miraculeusement insecticide que l’avait été le DDT et qui est aussitôt utilisée avec succès contre la Solenopsis invicta, la fourmi de feu, qui menaçait les plaines céréalières des Etats-Unis. Cette molécule, le chlordécone, fut toutefois commercialisée sous divers autres noms, dont Kerone et Curlone. Dès 1963, une chercheuse démontra que cette molécule était très toxique pour la souris et la poule. En 1975, elle causa des troubles neurologiques graves à de nombreuses personnes aux Etats-Unis qui décidèrent de l’interdire en 1976.

En France, les représentants de l’industrie chimique tentent d’obtenir, dès 1968, l’homologation du chlordécone afin de lutter contre le charançon des bananeraies des Antilles. En 1972, Jacques Chirac, alors ministre de l’Agriculture, lui accorde une autorisation provisoire. Le produit est massivement utilisé aux Antilles françaises. En 1977, le rapport Ségaroff et en 1978 le rapport Kermarrec démontrent qu’il s’agit d’un produit très stable, donc très durable, qui affecte gravement la faune locale. Néanmoins, vers la fin de 1981, l’autorité d’homologation, la Comtox, délivra une nouvelle autorisation de mise sur le marché munie de la signature d’Edith Cresson, alors ministre de l’Agriculture.

En 1990, un autre ministre socialiste de l’Agriculture, Henri Nallet, ancien chargé de mission de la FNSEA, interdit officiellement le chlordécone, mais lui accorde “une incroyable dérogation de deux ans, destinée à écouler les stocks”. Au terme de ces deux ans, un nouveau ministre socialiste de l’Agriculture, Louis Mermaz, proroge d’une année cette autorisation qui est encore prorogée d’année en année par ses successeurs Louis Mermaz et Jean-Pierre Soisson.

“Le résultat de ce vaste acoquinement politico-pesticidaire est connu, du moins en partie : Les bananeraies des Antilles et bien au-delà sont pourries pour des centaines d’années… Les Antillais détiennent le record mondial des cancers de la prostate effet documenté de l’exposition au chlordécone -, et la région connaît des formes atypiques de la maladie de Parkinson. Pour le reste, peut-être plus sinistre encore, il faudra attendre des études complémentaires qu’on ne se précipite pas pour commander.”

En France, l’affaire du Gaucho commence en février 1992 lorsque cet insecticide révolutionnaire car systémique reçoit une autorisation de mise sur le marché. Dès ses premières utilisations, les apiculteurs signalent des mortalités exceptionnelles. Le fabricant, Bayer, qui a beaucoup investi dans la mise au point du Gaucho, conteste en brandissant ses propres études.

“Deux scientifiques connus et respectés changent le cours de la controverse. Jean-Marc Bonmatin, du CNRS, et Marc-Edouard Colin, de l’INRA, dénoncent l’attitude de Bayer dans le cadre d’un comité de pilotage d’études complémentaires voulu par le ministre… Bayer menace d’une plainte en diffamation et d’une demande en dommages et intérêts…. Colin devra quitter l’INRA et rejoindre l’université.”

En 2002, Jean Glavany, ministre de l’Agriculture, prolonge de dix ans l’autorisation de mise sur le marché du Gaucho. Le bref passage à la tête du ministère de l’Agriculture de Hervé Gaymard, de la fin de 2004 jusqu’au début de 2005, ne change rien en la matière. Un syndicat d’apiculteurs dépose une plainte, l’affaire passe en justice où elle connaît des fortunes diverses. Elle aboutit finalement en 2017 lorsque la Cour de cassation confirme les décisions de justice antérieures selon lesquelles “aucun lien de causalité n’avait pu être établi entre la mortalité des abeilles et l’utilisation du Gaucho.”

Entretemps, d’autres néonicotinoïdes étaient apparus, certains furent interdits tandis que d’autres ne le sont toujours pas et l’hécatombe des abeilles s’accélère. Sont menacées de disparition non seulement les abeilles, mais d’autres espèces de pollinisateurs. “Or 35% de la production alimentaire mondiale est directement liée au service gratuit offert par les polinisateurs, dont nos chères abeilles.”

Le chapitre IV intitulé “La ridicule mise en scène du Grenelle” désigne le processus de négociations sur l’environnement voulu par Nicolas Sarkozy, après son élection à la Présidence de la République en 2007. Ces négociations devaient avoir lieu entre toutes les parties intéressées, sur le modèle des Accords de Grenelle conclus pour mettre un terme aux grèves ouvrières déclenchées en mai 1968 à la suite du mouvement étudiant. (Ces accords étaient dits de Grenelle parce qu’ils avaient été conclus au siège du Ministère du travail situé dans le quartier de Paris qui s’appelle Grenelle.) L’opinion française avait été marquée par le Pacte écologique que Nicolas Hulot avait lancé en 2006 et qui avait recueilli 750’000 signatures, dont celle de Nicolas Sarkozy.

Ce sera, déclara le nouveau chef de l’Etat, “un contrat de cinq ans entre l’Etat, les collectivités territoriales, les syndicats et les associations. Je veux que ce contrat engage les responsables.” Jean-Louis Borloo, nouveau ministre d’Etat, fut chargé de piloter l’entreprise qui dura de juillet à octobre 2007. Les principaux responsables écologistes, y compris l’un des deux auteurs, François Veillerette, se mirent à espérer que la droite serait plus ouverte que la gauche ne l’avait été en matière de réduction drastique du recours aux pesticides.

Malheureusement, l’Académie de médecine et l’Académie des sciences publièrent le 14 septembre 2007 un “rapport ébouriffant sur le cancer” qui exonérait très largement les pesticides des responsabilités qu’on lui attribuait depuis Rachel Carson, pour les imputer au tabac et à l’alcool. A l’origine de cette prise de position se trouvait Maurice Tubiana, membre de ces deux Académies, “un croisé qui défend tout à la fois, les nitrates, le nucléaire… et la chimie”.

Au départ, l’idée de nombre de participants, à commencer par les écologistes, était de réduire de moitié en cinq ans le recours aux pesticides. Mais d’emblée l’incertitude s’installa sur le point de savoir si la réduction devait porter sur le volume total de pesticides utilisés ou bien sur le nombre d’applications. “Et ce n’est pas un détail car les pommes industrielles, par exemple, subissent plus de trente traitements successifs.” Puis l’incertitude s’étendit au délai imparti, cinq ans ou bien dix ans…

Finalement il fut décidé que seraient réduits 50% des pesticides dans un délai de dix ans, mais le président de la FNSEA, Jean-Michel Lemétayer, avait obtenu que cet objectif ne serait atteint que dans la mesure du possible.

Et les auteurs de conclure : “La consommation de pesticides entre 2007 et 2017 n’aura pas baissé de 50%, mais au contraire augmenté. D’environ 20%. Malgré les maladies et la mort des oiseaux, des papillons, des abeilles.” Une fois de plus, le lobby de l’agrochimie l’avait emporté. La France reste le “troisième utilisateur de pesticides au monde”.

“Ecophyto, une chimère de plus”, tel est le titre du chapitre V. En réalité, le gouvernement Fillon, dont le ministre de l’Agriculture était alors Michel Barnier, conçut en 2008 le plan Ecophyto comme une suite du Grenelle de l’environnement, dans le but de “diminuer le recours aux produits phytosanitaires, en zones agricoles et non agricoles, tout en continuant à assurer un niveau de production élevé tant en quantité qu’en qualité.” Ce plan comportait la création de 3’000 fermes modèles dont le véritable lancement n’eut lieu qu’en 2011.

“En décembre 2013, Stéphane Le Foll – ministre de l’Agriculture dans le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault – réunit ses journalistes et leur confie au cours d’une conférence de presse que la consommation de pesticides a brutalement chuté entre 2011 et 2012. De 5,7 % exactement, ce qui démontrerait le succès d’Ecophyto. En vérité, la consommation a encore augmenté de 0,77% entre 2011 et 2012, et le chiffre d’affaires de l’industrie de 5%.”

L’année suivante, en 2014, un médecin généraliste de Limoges rend public un appel de 1’200 de ses confrères qui clame : “Médecins de terrain, nous avons constaté l’augmentation des maladies chroniques chez nos patients (cancers, troubles de la fertilité, mais aussi maladies neurologiques, diabète, allergies…). Nous avons aussi constaté que les preuves de la responsabilité de substances chimiques très largement répandues dans notre environnement s’accumulaient.”

Le bilan que nos auteurs tirent du plan Ecophyto est plus que frustrant : “Selon les enquêtes officielles, les pommes continuent à être pesticidées en moyenne 34 fois de suite. Et c’est plus de 12 fois pour les tomates. Plus de 19 fois pour les vignes du si goûteux champagne. Plus de 18 fois pour les pommes de terre. Aucun doute : les bureaucrates de l’Agriculture, les industriels et ces quelques chefs paysans qui profitent tant du système se sont bien moqués de nous tous.”

Dans le chapitre VI, les auteurs font une étude critique de l’ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, l’héritière de toutes les structures précédentes chargées d’homologuer les pesticides censés répondre aux exigences de sécurité alimentaire. Ils rapportent notamment deux cas récents où des responsables de cette agence se sont apparemment affranchis des consignes gouvernementales et, en tout cas, des exigences inhérentes à leur mission, compte tenu des connaissances scientifiques en la matière.

Le premier cas est celui de Madame Françoise Weber, une proche de Xavier Bertrand, ministre du travail après l’élection du Président Sarkozy en 2007, qui fut nommée patronne du prestigieux Institut de veille sanitaire à la fin de 2007, directrice adjointe de la santé en 2014, puis directrice générale adjointe de l’ANSES en octobre 2015.

“Début 2016, l’ANSES publie un rapport sur la dangerosité…/des néonicotinoïdes/… près de vingt-cinq ans après les première alertes. On y apprend, après tant d’études concordantes, qu’il faut en effet les surveiller attentivement.” Mais les conclusions qu’en tire Madame Weber sont pour le moins ambiguës. Qu’on en juge :

“Il manque toujours – dit-elle – des connaissances importantes concernant l’impact des néonicotinoïdes sur les abeilles. Par ailleurs, il n’est pas possible d’évaluer les effets sur les espèces sauvages à partir des éléments disponibles uniquement pour les espèces domestiques… Cet avis permet également d’identifier des usages pour lesquels les risques pour les abeilles domestiques, les bourdons et les abeilles sauvages sont considérés comme faibles… Il subsiste une forte incertitude concernant nombre d’usages.”

En novembre 2017, quelques mois avant que l’Union Européenne n’interdise trois néonicotinoïdes – en avril 2018 – Madame Weber tient à défendre en personne, devant le tribunal administratif de Nice, deux néonicotinoïdes, le Closer et le Tranform auxquels l’ANSES avait accordé une très hasardeuse autorisation de mise sur le marché.

Le deuxième cas, que nos auteurs juge bien pire, est celui du vrai patron de l’ANSES, son directeur général, M. Roger Genet. “Nous sommes en mai 2018, après des mois de débats houleux, à travers toute l’Europe, sur le glyphosate, ce pesticide infernal. Le 7 mai, le site Agriculture et Environnement publie un entretien avec Genet, dans lequel il prend ses distances avec la volonté maintes fois affirmée, par le gouvernement lui-même, d’en finir avec le glyphosate d’ici à trois ans. M. Genet estime indispensable de surseoir à pareille décision. “Des études de génotoxicité pourront être conduites dans un délai de quelques mois, cependant les études concernant les effets cancérogènes requièrent au minimum entre trois et cinq ans. Voilà donc le timing raisonnable et nécessaire pour pouvoir apporter des éléments supplémentaires et répondre aux inquiétudes des citoyens et des pouvoirs publics sur les effets du glyphosate.”

Symptomatiquement, le site Agriculture et Environnement auquel M. Genet a confié ses réflexions est dirigé par un certain Gil-Rivière-Weckstein qui appartient à un groupe qui a changé mille fois d’appellation et qui s’est illustré dans la désinformation sur des sujets graves comme la trou de la couche d’ozone, les nitrates ou le nucléaire.

A la fin du chapitre apparaît un appel pathétique du Président Emmanuel Macron et du Premier ministre Edouard Philippe en faveur d’un “plan d’actions pour réduire la dépendance de l’agriculture aux produits phytopharmaceutiques !”

Le livre se clôt par une Conclusion libellée “Recommencer encore ?”, par un épilogue intitulé “Le grand Appel” et par le Texte de l’Appel “Nous voulons des coquelicots”.

Dans la conclusion, les auteurs dépeignent la menace qu’ils jugent imminente : “Nous sommes très près de Soleil vert, ce film où l’on montre à certains mourants des image de ce qui fut. Avec des clairières où bourdonnent les insectes, des forêts où se cachent cerfs et chevreuils.

La menace n’est plus un épisode de science-fiction, et, ainsi que nous venons de le montrer, le lobby des pesticides est devenu si puissant et ramifié, si indifférent aux alertes, si méprisant pour la science non prostituée, qu’il s’est transformé en monstre… L’industrie des pesticides a désormais échappé au contrôle humain et ne peut plus être réformée. Un enchevêtrement d’accords, de contrats, de confort moral et matériel, de complicités rend l’édifice impénétrable…”

Mais le temps presse. Le monde que nous avons connu, avec des insectes et des coquelicots est en train de mourir sous nos yeux. “Or, cette fois, nous n’avons pas vingt ans devant nous. Ni même dix. Le désastre est là et nous touche tous, que l’on soit nouveau-né ou vieillard cacochyme.”

Seule issue désormais : que les citoyens français exigent massivement l’interdiction des pesticides en contresignant par millions l’Appel “Nous voulons des coquelicots” que l’on trouvera ci-après.

Que l’on permette à l’auteur de ces lignes, très touché par l’Appel “Nous voulons des coquelicots”, de hasarder deux remarques conclusives.

Les auteurs savent pertinemment que le problème des pesticides se pose non seulement en France, mais dans pratiquement tous les pays, et que les décisions en matière de politique agricole se prennent de plus en plus à l’échelle européenne. S’ils ont lancé leur Appel à l’échelle de la France, l’un des pays les plus dépendants des pesticides, c’est vraisemblablement parce qu’ils estiment que c’est à cette échelle que le besoin vital d’un sursaut démocratique est le plus plausible.

Mais ne peut-on pas espérer que les progrès en matière de cytologie, de génétique et d’épidémiologie permettront bientôt aux victimes du cancer et des autres pathologies causées par les pesticides d’actionner en justice les firmes productrices de ces poisons et leurs représentants pour en obtenir de substantiels dommages intérêts ?

Texte de l’Appel

“Nous voulons des coquelicots”

Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l’eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l’estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveaux-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises.

Les pesticides sont une tragédie pour la santé. Ils provoquent des cancers, la maladie de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. L’exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant. Quand un pesticide est interdit, dix autres prennent sa place. Il y en a des milliers.

Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Un tiers des oiseaux ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent comme évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre, et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde !

Non, nous ne voulons plus. A aucun prix. Nous exigeons protection. Nous exigeons de nos gouvernants l’interdiction de tous les pesticides (*) en France. Assez de discours, des actes.

(*) de synthèse.

Pour signer l’Appel :

https://nousvoulonsdescoquelicots.org

Conditions d’utilisation : ce texte peut être utilisé et partagé aux conditions suivantes :
– créditer l’auteur(e)
– fournir le lien du texte sur le site de la Fondation
– ne pas l’utiliser à des fins commerciales.

Version téléchargeable (pdf) : Recension - Nous voulons des coquelicots

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