Recension

MARTIN, Jean (2023) : Le pouls de la Terre. ZUERCHER, Ernst. Ed. La Salamandre, 2023, 137 p. EAN 13 9782889584314

 

Le pouls de la Terre, les rythmes de la nature, aux côtés de ce qui est avéré déjà ?

L’ingénieur forestier et enseignant dans plusieurs Hautes Ecoles Ernst Zuercher est une personnalité qui, après avoir œuvré discrètement, est aujourd’hui très présent, y compris médiatiquement. Chercheur au contact intime de la nature, il s’intéresse assidûment aux relations des végétaux, particulièrement les arbres, avec le milieu considéré très largement, cosmique peut-on dire (notamment l’influence de la lune sur leur vie et croissance).

D’abord considéré avec réserve pour ne pas dire incrédulité, il voit maintenant reconnaitre ses apports (y compris par des revues prestigieuses). Son ouvrage « Les arbres, entre visible et invisible – S’étonner, comprendre agir » (Actes Sud, 2016), est un succès de libraire, récemment réédité.

Il publie aujourd’hui « Le pouls de la Terre », récit d’une trajectoire personnelle, humaine et scientifique, marquée par son attrait pour la forêt et par une pulsion et une pratique de la marche, depuis l’enfance qu’il décrit – fils de fromager dans le Jorat vaudois. Il enchaîne avec sa randonnée de 25 jours, à l’âge de 58 ans, entre notre région et la Méditerranée, passant par le massif de la Chartreuse et le col de la Croix-Haute pour arriver à La Ciotat.

Les chapitres suivant ces éléments autobiographiques traitent du lien avec la nature qu’il faut faire revivre, du chant de cette nature, des rythmes de la Terre, pour arriver au mystère des synchronicités observables (référence à C.G Jung). En passant par cet arboriculteur de Floride dont les récoltes d’agrumes s’améliorent par la diffusion dans les vergers de chants d’oiseaux, la résonance de Schumann, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, le nombre d’or et la série de Fibonacci. Conclusion philosophique avec « Retour à l’essentiel et à la joie ».

Ce qui retient l’attention c’est la présentation de ce qui n’est pas saisi par la science « usuelle », ce qu’on a trop aisément tenu pour des croyances paysannes, des rêveries voire des dérives du registre magique. « Une question qui m’accompagne de plus en plus est celle du juste rapport que nous humains devrions développer et cultiver avec la Terre. Face à l’ampleur et la gravité de l’impact humain dont elle souffre aujourd’hui, force est de constater que le lien autrefois naturel et vital est rompu » (p. 45).

« C’est grâce aux méthodes de la science moderne, mais ouverte à de tels sujets, que des vieux savoirs ont pu être réhabilités par la mise en évidence de phénomènes statistiquement significatifs. La thématique de la chronobiologie lunaire est devenue pour moi l’un de mes cœurs de métier de chercheur. Pour un scientifique marcheur, il est devenu évident que les liens entre les choses et entre les évènements ne peuvent se réduire à des rapports purement physiques de cause à effet, le passé étant supposé seul à conditionner le présent. Ne constate-t-on pas sur notre chemin des surprises inattendues, ‘bienveillantes’ ? Le réductionnisme scientifique s’efforce d’expliquer un système par des sous-systèmes auxquels on a accès par la dissection par exemple (…) Un moyen majeur est d’appliquer la méthode par essais et erreurs. Les composantes du système sont supposées liées par des processus d’action et rétroaction de nature causale » (p. 52-53). Pourtant…

A propos de l’anthropologue Jeremy Narby, il parle de démarche d’acquisition de savoirs non limitée par le paradigme mécaniste de l’impérialisme cognitif occidental. Narby a travaillé avec des chamanes amazoniens en rapport avec l’ayahuasca, ainsi qu’avec le curare, le paralysant utilisé en anesthésie. Contrairement à ce que la science classique postulerait, il affirme qu’il n’y a pas là des démarches essais-erreurs. Des entretiens avec les préparateurs de cette substance complexe, il ressort une origine mythique en lien avec un plan spirituel, et non pas expérimentale… (p. 54).

Surprenantes paroles, défrisantes… qu’on tend à écarter du dos de la main. Je ne saurais (J.M.) formuler d’appréciation catégorique mais Zuercher a le mérite d’affirmer qu’on n’a pas assez tenu compte, en science classique, de choses qui sont de l’ordre de facteurs/influences non encore « cataloguées », d’énigmes voire de pratiques inspirées ! « J’ai une grande sympathie, dit-il, pour les ‘braconniers de la science’ qui font de la résistance aux conventions et aux idées reçues ». Et d’évoquer la question, posée par d’autres aussi : la Terre dans son ensemble doit-elle être considérée comme un être vivant ?

« Revenons à la marche, à l’immersion en pleine nature et aux liens invisibles qu’elle tisse. Comment ne pas imaginer qu’elle nous permet d’élaborer des références sensorielles subconscientes (…) La perception des odeurs notamment nous donne accès à un monde très vaste – un monde invisible par nature »  (p. 55).

Des pages parlent du « chemin parcouru par la recherche médicale en lien avec les bienfaits de la forêt », faisant référence à la thérapie japonaise des bains de forêt – Shinrin-yoku (p. 61).  Des chercheurs occidentaux aussi parlent maintenant de « Nature Deficit Disorder » ; empiriquement en tout cas, ce syndrome de manque de nature apparaît plus que plausible.

Est abordée la question des co-bénéfices, thème majeur aujourd’hui à propos de relation entre santé/maladie et climat. « Cela amène la question du rôle que pourrait/devrait jouer l’humain dans la nature qui l’entoure et le traverse. Nous attendons d’elle de multiples bienfaits. A contrario, pourrait-on imaginer que la nature attende quelque chose de nous, dans un sens de coévolution qui veut qu’il y ait un équilibre entre le recevoir et le donner ? » (p. 72).

A la fin du livre, il décrit la démarche qu’avec d’autres il a initiée des « Sentiers des savoirs », qui ferait revivre dans un sens moderne les traditions de type compagnonnage, dans un but de formation. Ici, il s’agit, en principe à pied, de passer des périodes d’un ou quelques mois dans des lieux exemplaires d’apprentissage, en composant librement son itinéraire selon les savoirs à acquérir – entre autres en rapport avec des pratiques de culture loin de l’agro-industrie.

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Version pdf : Recension – Le pouls de la Terre

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