Recension
LETHIER, Hervé (2022) : Le bug humain – Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher. BOHLER, Sébastien (2019). Ed. Robert Laffont (2019), 268 p. EAN 9782221240106
Et si c’était la faute à notre cerveau ? L’ouvrage de Bohler tourne en fait autour de cette question lancinante et ô combien démoralisante, soufflant le chaud et le froid, évoluant entre le néant et l’espoir, basée sur l’hypothèse selon laquelle nos neurones seraient à l’origine de nos excès, par le fruit d’impulsions cérébrales dont nous ne serions pas pleinement conscients et contre lesquelles nous serions en bonne partie démunis.
… la faute à notre « striatum » et à sa capacité à nous doper.
Cette démarche obstinée vers la destruction du vivant et la surconsommation des ressources naturelles ne serait que le fait d’une sélection naturelle démarrée dès l’apparition de la vie sur terre, conduisant chacun de nous à poursuivre un programme structuré de survie, articulé autour de cinq objectifs majeurs : pouvoir, économiser, connaitre, manger et se reproduire.
Après tout, nature rime avec culture mais aussi avec Epicure et minimiser ses efforts pour optimiser son bien-être, procède d’un comportement audible, immanent à toute créature, l’homme y compris. Voltaire n’écrivait-il pas au siècle des Lumières « j’ai choisi d’être heureux, c’est bon pour la santé ».
Sans fin ni mesure, une telle stratégie peut conduire toutefois à une impasse, notamment pour l’humanité qui a développé au fil des siècles une dominance sur les autres espèces naturelles et dont on observe chaque jour les effets sur le climat et le vivant en général.
Même si la planète s’en remettra probablement, comme elle s’est remise de la disparition des dinosaures, il est certain, sans être fin collapsologue, que l’humanité ne sortira pas indemne de ce que Hubert Reeves qualifiait récemment encore « d’anéantissement biologique »[1]. Avant lui, Claude Levi Strauss avait déjà conclu « le Monde a commencé sans l’homme, il finira sans lui »[2].
Ne cédons pas à la sérendipité et n’attendons pas que cela se passe fortuitement, « à l’insu de notre plein gré », pour être un peu léger sur un sujet qui ne l’est pas du tout. Interrogeons-nous sur le fait de savoir comment nous pourrions agir sur notre cortex et nous doter des meilleures chances de survie, stopper et inverser cette boulimie permanente de pouvoir et de consommation ? Est-ce possible de configurer au mieux notre cerveau qui en demande toujours plus, quand bien même notre corps est déjà satisfait, et à son détriment ? Les neurosciences apportent des éléments de réponse vulgarisées par l’ouvrage de Bohler.
« L’activation du striatum reflète un comportement susceptible d’augmenter la survie d’un individu ou sa capacité à transmettre ses gènes », nous dit l’auteur ; nous voulons bien le comprendre et l’admettre, mais quel intérêt si cette activation nous conduit à évoluer dans un monde de moins en moins vivable ? Certes le cerveau serait construit pour dominer, encore faut-il que cette domination ne mène pas à la fatalité. Peut-être devrions-nous raisonner et, dès lors, nous forcer à agir et réagir, en quelque sorte contre nature … Si nous avons incontestablement besoin de consommer pour exister, encore faut-il que cette stratégie ne compromettre nos chances de survie …
Et l’auteur de citer Dostoïevki[3], pour conclure que tout n’est pas perdu à cet égard. Pour autant, il ne s’agit pas là d’un jeu de hasard comme chez cet auteur classique, mais d’une impasse chez Bohler pour qui « l’homme est devenu l’espèce la plus dangereuse pour la planète » ; on ne saurait le contredire dans son analyse. « Habiter la terre autrement, coexister avec le vivant et sauver la planète, les humains doivent reprendre le contrôle de leur cerveau et d’eux-mêmes », ce sont les priorités que suggère ce dernier dans un autre ouvrage plus récent[4].
En résumé, tout cela nous invite à lutter contre nous-mêmes, avant d’accuser les autres de nos propres excès et turpitudes, avec égotisme et dans un déni permanent. Lever nos incohérences serait déjà un sérieux progrès. Par ailleurs, notre quête permanente de plaisir et de statut social ne doit pas se résumer à un « toujours plus » tandis que notre « système de récompense » ne saurait attendre ce plus permanent, pour s’activer et induire une satisfaction qui ne soit pas mortifère à long terme.
Bref, stop au pillage de la planète ! Tirons sans délai les leçons de ce que nous savons, observons et subissons ; abandonnons le paradigme de la satisfaction immédiate et sachons penser et agir au profit de récompenses futures, sortir de cette immédiateté qui sacrifie notre bien-être durable à des arbitrages sans avenir.
L’auteur nous invite tout simplement à être patients et raisonnables, appelant en dernière partie de l’ouvrage, à emprunter les « voies de la sobriété »[5].
Mais voilà, pouvons-nous reprendre le contrôle de notre destin ? « Les tentatives pour échapper à l’influence du striatum ont, à ce jour, toutes échoué ». Le striatum ordonne, il ne se fait pas commander, quoique bénéficiant d’une relative « plasticité » selon l’auteur. Dès lors de quelle autonomie jouissons-nous en réalité ? Sous le règne de la liberté individuelle et des droits de l’homme qu’il ne s’agit pas ici et nullement de contester, comment réagir et ne pas céder aux fanatisme, nationalisme et autre communautarisme, au déni et au repli sur soi[6] … la tâche parait, sinon impossible, du moins singulièrement compliquée … sauf à « conscientiser » le débat.
La puissance de la conscience serait pour Bohler la voie du succès. « Conscience ouvre-toi ! », apprenons la modération, retrouvons la profondeur du temps, pratiquons la croissance mentale et non pas matérielle, ayant une conscience à la hauteur de notre intelligence, invoque l’auteur. Que la connaissance soit un agent libérateur et non pas un facteur d’asservissement, en quelque sorte ; de la spiritualité …
La sobriété fait aujourd’hui florès dans le débat sur la transition énergétique ; elle s’invite plus que jamais et à tout moment y compris dans la logorrhée politique, en matière d’adaptation au changement climatique et de préservation du vivant.
Cela nous laisse encore un peu d’espoir … et il est doux de le penser et d’y croire.
Un appel brillant à une vie plus simple, à laquelle, parmi de nombreux autres penseurs, nous appelait déjà Edward Carpenter, en fin du XIXème siècle[7], dans la lignée de Thoreau quelques années plus tôt[8].
L’auteur
Ancien élève de l’École polytechnique, docteur en neurobiologie et rédacteur en chef de la revue Cerveau & Psycho, Sébastien Bohler est aussi l’auteur de « Human Psycho – Comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse pour la planète », 2022, éd. Bouquins.
[1] Sur le sujet, également : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1704949114.
[2] Claude Levy Strauss, 1955 – Tristes Tropiques, éd. Plon.
[3] Fiodor Dostoïevski, 1866 – Le joueur.
[4] Sébastien Bohler, 2022 – Human Psycho – Comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse pour la planète, éd. Bouquins.
[5] Un discours à réanimer Pierre Rhabi, chantre de la sobriété heureuse ! (Pierre Rhabi – Vers la sobriété heureuse, 2010, Actes Sud).
[6] Faisant écho à l’altruisme et à la compassion envers l’ensemble des êtres sensibles, chers à Matthieu Ricard (Matthieu Ricard, 2022 – Carnets d’un moine errant, mémoires, éd. Allary).
[7] Edward Carpenter, 1887 – Vers une vie simple.
[8] Notamment : Henry David Thoreau, 1854 – Walden ou la vie dans les bois.
Conditions d’utilisation : ce texte peut être utilisé et partagé aux conditions suivantes :
– créditer l’auteur(e)
– fournir le lien du texte sur le site de la Fondation
– ne pas l’utiliser à des fins commerciales.
Version pdf: Recension – Le bug humain