Recension

MARTIN, Jean (2022) : L’arbre-monde. POWERS, Richard (2018). Traduction Serge Chauvin, langue d’origine : Anglais (Etats-Unis). Ed. Cherche Midi Ailleurs, 550 p. ISBN 2749158273

 

Né en 1957 dans l’Illinois et de nationalité étasunienne, Richard Powers est physicien de formation initiale mais fait ensuite des études de littérature et enseigne l’Anglais à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign (UIUC) dont il est professeur émérite.

En 1985, il publie son premier roman, « Three Farmers on Their Way to a Dance » puis devient un auteur à succès dans les années 1990, en publiant des ouvrages à la croisée des sciences exactes et de l’art, parmi eux, « The Echo Maker » qui reçoit le National Book Award en 2006, puis « The Overstory », sélectionné en 2018 pour le Man Booker Prize.

Son dernier ouvrage, « L’Arbre-monde », lui vaut d’être lauréat du prix Pulitzer de la fiction en 2019.

L’ouvrage

Un récit qui tient en haleine et fait réfléchir, sur des enjeux qui survivront au covid quand le vaccin nous aura aidés …

Très préoccupé par la dégradation de l’environnement et de la biodiversité, Richard Powers livre là une fiction inspirée par des démarches militantes aux Etats-Unis dans les années 1980-1990. Une assez formidable épopée : histoires entremêlées d’activistes qui cherchent à empêcher la déforestation sur la Côte Ouest du pays – on se souvient chez nous aussi de groupes bloquant des accès, s’enchaînant à des séquoias, se couchant devant les caterpillars…

Un « tissage » haut en couleurs (un page turner, même s’il faut du temps pour le parcourir) des parcours de neuf jeunes gens qui s’engagent suite à des événements de vie divers (ils auront pris de l’âge dans les dernières parties de l’ouvrage, intitulées « Cime » et « Graines » – venant après « Racines » et « Tronc »). Parmi eux : l’arrière-petit-fils d’immigrants norvégiens dans l’Iowa au XIXe siècle, une ingénieure qui fait carrière dans une multinationale, fille d’un immigré de Shanghai, un sociologue thésard, un vétéran du Vietnam, une fille charismatique qui abandonne ses études; et une botaniste et chercheuse qui a découvert les vertus et propriétés des arbres ; en particulier qu’ils communiquent entre eux, voire ont une « intelligence » – elle fait penser à Peter Wohlleben, le réel auteur de «  La vie secrète des arbres » dont on sait le succès. Il y a aussi un génie de l’informatique qui fait fortune dans les jeux vidéo – sorte de rappel, en toile de fond, de ce qu’un nombre croissant d’entre nous vivent en mode virtuel.

D’abord, Powers décrit individuellement les protagonistes, leurs enfance et famille, études, emplois – bons coups de projecteur sur la vie étatsunienne. Puis comment chacun-e part vers l’Ouest et se retrouve dans la résistance à l’abattage de la forêt séculaire variée, riche, foisonnante – pour en faire des pâturages ou des monocultures industrielles d’arbres à croissance rapide. Par des engagements forts fondés sur la non-violence, ils obtiennent quelques succès: ainsi, le couple qui prend une résidence de deux semaines en principe sur une plateforme bricolée à 60 mètres de haut d’un séquoia géant, « patriarche » exemplaire, et qui va finalement y vivre dix mois avant que l’obstination des bûcherons et de la police ne les déloge.

Déçus, frustrés de la non-écoute et de la brutalité des exploitants comme des autorités (pour qui croissance quantitative et efficience sont les critères déterminants indiscutables et l’utilité toujours à maximiser), ils ont eux-mêmes quelques actions violentes (incendies, un entraînant la mort d’une des leurs) avant de se disperser. On les retrouve vingt ans plus tard : certains réintégrés dans « le système », d’autres marginaux. Par (mal)chance le FBI tombe sur une trace, remonte à certains qui sont incarcérés – mais ne regrettent rien. Tous se souviennent.

Quelques extraits : « La richesse a besoin de barrières [et l’Amérique n’en veut pas]. Il ne reste rien sur le continent pour seulement suggérer ce qui a disparu. Tout est remplacé à présent par des milliers de kilomètres de fermes et de jardins contigus. Le sol se rappelle, un peu plus longtemps, les forêts disparues. » A propos des possibles capacités des arbres : « Qu’est-ce qui est le plus dingue [incroyable] : des plantes qui parlent ou des humains qui écoutent ? »

Rappel de l’importance de nouveaux récits pour faire saisir la nécessité du changement : « Les meilleurs arguments du monde ne feront jamais changer d’avis. Ce qu’il faut, c’est une bonne histoire ». Un problème : « Nous ne sommes pas équipés pour percevoir les lents changements de fond. On peut fixer l’aiguille des heures sans la quitter des yeux, et pas une fois on ne la voit bouger ».

L’arbre-monde tient en haleine. Très bien informé des choses de la nature, l’auteur offre une fresque de vies vécues, de choses réalisées, de réflexions psychologiques et philosophiques substantielles, dans un pays où le (néo-)libéralisme n’a accepté jusqu’ici que tellement peu de limites à l‘exploitation sans scrupule du milieu de vie. « Tous [ces jeunes gens] essaient d’écoper l’océan du capitalisme avec une capsule de gland » écrit Powers…

Une fiction, mais qui a dit qu’une bonne fiction fait mieux appréhender la réalité et ses enjeux que les faits « secs », les seuls faits vus isolément ?

 

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Version pdf: Recension – L’arbre-monde

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