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MARTIN, Jean (2023) : Nature Deficit Disorder 

La crise sanitaire a remis sous les projecteurs les enjeux liés au commerce des animaux sauvages, une pratique très ancienne dans la plupart des sociétés humaines. Le commerce de l’ivoire a précédé celui de l’or, les pharaons s’affichaient déjà au côté d’espèces exotiques, et le commerce d’animaux pour alimenter les arènes romaines a mené à l’extinction locale de nombreuses espèces.

Le concept de « Nature Deficit Disorder »- NDD (syndrome de manque de nature en français) a été introduit par l’auteur américain Richard Louv dans un livre de 2005, « Last Child in the Woods ». Les humains, et notamment les enfants, sont de plus en plus confinés en milieu urbain, avec la promiscuité et les pollutions que cela implique, passent de moins en moins de temps en plein air, et sont ainsi susceptibles de développer divers troubles. Louv a publié par la suite d’autres ouvrages, dont « Vitamin N » (N pour Nature).

Une telle entité n’a pas encore droit de cité dans les traités médicaux mais n’est-elle pas bien plausible et pertinente, empiriquement ? Ne constitue-t-elle pas un enjeu grandissant de santé publique, physique et psychique à la fois. On peut attribuer à une aliénation de la nature (Louv) un moindre usage de nos capacités sensorielles, des difficultés d’attention et une contribution à des pathologies comme l’obésité – au NDD est bien sûr liée une « épidémie » d’inactivité physique. La surprotection des enfants par leurs parents dans les occupations quotidiennes est évoquée comme facteur aggravant, comme aussi l’artificialisation des locaux et places de jeu.

Nowak et Van den Bosch, dans un article de 2019 de la revue Santé Publique, se penchent sur la question des services écosystémiques fournis  par la nature, les arbres particulièrement, via leurs « effets modérateurs sur le climat, la réduction du CO2, l’amélioration de la qualité de l’air, la protection contre les rayons ultraviolets et l’érosion du sol, la baisse du niveau sonore ». Sans compter les opportunités de loisirs et les bienfaits liés à la beauté du milieu naturel et son observation. « Nature Deficit Disorder is really a thing « , écrit M. McKivigan dans le New York Times du 23 juin 2020 – en relevant à l’époque que le problème était accentué par la pandémie covid.

Dans le passé récent, le Shinrin-yoku, la thérapie japonaise des bains de forêt, a retenu l’attention de manière croissante, dans la grande presse comme aussi dans des revues spécialisées. Santé publique et la Revue forestière française ont publié en 2019 un numéro spécial sur le sujet, avec des revues de la littérature – études asiatiques notamment (1, 2). Noter que Unisanté, à Lausanne, le centre académique pour la médecine de famille et la médicine sociale et préventive, mène actuellement une étude sur les effets de la marche méditative en forêt sur la tension artérielle.

Notre compatriote l’ingénieur forestier Ernst Zuercher, enseignant dans plusieurs Hautes Ecoles dont les EPF de Zurich et Lausanne, est une personnalité remarquée. Il s’intéresse assidûment aux relations des végétaux, particulièrement les arbres, entre eux et avec le milieu ambiant. Son ouvrage « Les arbres, entre visible et invisible  » (Actes Sud, 2016) est un succès de librairie. Il vient de publier « Le pouls de la Terre » (Ed. de la Salamandre, Neuchâtel, 2023), qui aborde aussi la question des co-bénéfices, thème majeur de la relation entre santé humaine et climat. « Cela amène la question du rôle que pourrait/devrait jouer l’humain dans la nature qui l’entoure et le traverse. Nous attendons d’elle de multiples bienfaits. A contrario, pourrait-on imaginer que la nature attende quelque chose de nous, dans un sens de coévolution qui veut qu’il y ait un équilibre entre le recevoir et le donner ? » (p. 72). Louv pense que le NDD a des impacts non seulement pour la santé des populations, mais aussi sur celle de la Terre-elle-même (on sait que la question a été posée – hypothèse Gaia – de savoir si la Terre dans son ensemble doit être considérée comme un être vivant).

Comme initiatives pratiques en rapport avec le NDD, on peut mentionner aux USA le « Children & Nature Network » et la « No Child Left Inside Coalition ». En France, le FRENE (réseau d’éducation à la nature) a publié un document descriptif et pédagogique substantiel sur le syndrome de manque de nature (3).

Tout récemment Estelle Delamare, jeune médecin genevoise, cite le philosophe et naturaliste Baptiste Morizot qui parle d’une crise de la sensibilité au vivant, un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre et tisser comme relations à l’égard du vivant. Cette crise se manifeste par une « extinction de l’expérience de la nature » : alors qu’un enfant nord-américain sait reconnaître mille logos de marques, il n’est pas en mesure de différencier dix feuilles d’arbres de sa région (4).

« Moi-même j’ai réalisé il y a peu, écrit-elle, que je n’avais jamais prêté attention aux chants d’oiseaux alors même que j’ai grandi à la campagne. Je viens de vivre mon premier printemps à les écouter et je ne saurais mettre des mots sur le vide duquel j’ai l’impression d’être sortie après vingt-quatre ans de sourde indifférence.» Ces effets positifs sont confirmés par des travaux scientifiques (5).

Références:

1.D. J. Nowak et M. Van den Bosch, « Les effets des arbres et de la forêt sur la qualité de l’air et la santé humaine dans et autour des zones urbaines: », Santé Publique, vol. S1, no HS1,‎ 13 mai 2019, p. 153–161 (ISSN 0995-3914, DOI 10.3917/spub.190.0153, consulté le 15 juin 2023).

2.Li, Q. (2019). Effets des forêts et des bains de forêt (shinrin-yoku) sur la santé humaine [archive]: une revue de la littérature. Sante Publique, 1(HS), 135-143.

3.FRENE, le réseau français d’éducation à la nature et à l’environnement. https://frene.org/wp-content/uploads/2021/07/Syndrome-manque-nature-FRENE.pdf. Voir aussi  https://sante-enfants-environnement.com/sante-des-enfants-comment-la-proteger-du-syndrome-du-manque-de-nature-14/

4.Delamare E. Ecouter pour mieux soigner. Revue médicale suisse, 5 juillet 2023. 1349.

5.Stobbe E. et al. Birdsongs alleviate anxiety and paranoia in healthy participants. Sci. Rep. 2022 (Oct.); 12(1):16414.

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Version pdf: Article – Nature Deficit Disorder – Jean Martin

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