Article

Energies renouvelables et biodiversité – Quelques mises en perspective à l’exemple de la Suisse.  René Longet, expert en durabilité, membre du conseil de la fondation Biosphère et Société

Le changement climatique est, avec l’altération et le morcellement des biotopes, la surexploitation des espèces et l’accumulation de substances écotoxiques dans le vivant, une des menaces majeures pour la biodiversité.

La dernière COP de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques (décembre 2023), a acté de prendre le chemin de la sortie des énergies fossiles, en particulier en doublant le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique et en triplant les capacités de production d’énergies renouvelables, ceci d’ici à 2030[1].

Il faut évidemment veiller à ce que cette production ne porte pas à son tour préjudice à la biodiversité, sachant aussi qu’aucune production d’énergie n’est sans effets environnementaux. Toutefois, ceux du fossile et du fissile sont incomparablement plus impactants que ceux des énergies renouvelables. Il s’agit donc de trouver le bon équilibre et de mitiger ces impacts le plus possible, tout en tenant le rythme de développement retenu à la COP 28.

La sortie du fossile s’impose, sans tomber dans la dépendance du fossile. D’ailleurs en adoptant le 21 mai 2017[2] la loi fédérale sur l’énergie révisée, le peuple a validé l’interdiction d’implanter en Suisse de nouvelles centrales nucléaires. Et la votation du 18 juin 2023 acceptant la loi sur le climat[3] a validé l’agenda de réduction des émissions de CO2 qui y est énoncé.

En Suisse, les énergies non renouvelables, non disponibles dans le pays et particulièrement toxiques que sont le fossile et le fissile constituent plus des deux tiers du mix énergétique (60% fossile et 8% nucléaire[4]). Toutes deux doivent être importées de régions parfois lointaines et à gouvernance fort discutable. Toutes deux sont les plus polluantes, non seulement lors de leur exploitation mais tout au long du parcours du combustible.

La tâche de « prendre le chemin de la sortie » est considérable et le rythme actuellement engagé pas en phase avec l’avancement de la déstabilisation du climat. Seule une stratégie mobilisant à la fois les économies par l’optimisation technique des équipements et la sobriété dans les usages, et le potentiel des énergies renouvelables nous permettra d’obtenir des résultats significatifs. Or, de nombreux blocages subsistent.

La votation populaire agendée au 9 juin 2024 relance le débat. En effet, le Parlement a adopté en septembre 2023 un texte législatif complexe[5], compromis politique porté par une large majorité d’élu.e.s des deux Chambres, usuellement bien divisés. Son titre exprime cette complexité : Acte modificateur unique. En effet, il s’agit de répondre à l’urgence climatique en inscrivant à la fois des obligations de sobriété énergétique et d’économies d’énergie, et des facilitations pour développer les énergies renouvelables, soit avant tout l’éolien, l’hydraulique et le solaire. Un référendum lancé par la Fondation Franz Weber a abouti[6], avec le soutien de plusieurs sections de l’UDC, formation politique attachée au fossile et au fissile, et de groupes militants anti-éoliennes.

L’issue du vote est très ouverte, l’éolien en particulier rencontrant une forte hostilité, ainsi que le photovoltaïque agricole et alpin. L’argument principal est de ne pas ajouter de nouvelles contraintes sur un paysage déjà passablement abimé par les lignes à haute tension, les paravalanches, les canons à neige et les pistes de ski. Les partisans de la loi rétorquent qu’il s’agit de contribuer à limiter les émissions de CO2 et que le changement climatique est une menace bien plus grave pour l’ensemble de l’écosystème montagnard que tous les équipements d’énergies renouvelables qu’on pourrait y installer[7].

À une époque où les connaissances techniques et des parts des diverses sources d’énergie ainsi que l’acceptance de la sobriété énergétique laissent à désirer, les réflexes « il n’y a qu’à » et « Nimby (Not in my backyard = loin de chez moi) » prédominent. Mais les enjeux sont trop importants pour en rester là.

Voici donc quelques éléments pour structurer nos réflexions citoyennes, au-delà du tout ou rien, à travers des modes d’emploi. Rappelons que :

  • Aucune production d’énergie n’est sans effets sur les écosystèmes. Mais ces effets sont variables – et peuvent être plus ou moins bien mitigés.
  • Il faut toujours garder à l’esprit la raison d’être de la transition énergétique : sortir des sources d’énergie les plus toxiques que sont le fossile et le fissile.
  • Les avantages des énergies renouvelables sont en symétrie inverse : disponibles autour de nous, à meilleur bilan écologique, aux impacts réversibles.

Ce préambule doit être constamment rappelé, car il forme le cadre incontournable de toute décision en matière énergétique.

La même réflexion doit se faire en termes d’emplois et de maîtrise de la chaîne de production (l’autonomie a un prix, les coûts de production étant plus élevés dans les pays de l’OCDE qu’en Chine par exemple). A titre d’exemple, les énergies renouvelables offrent aux Etats-Unis 24 fois plus d’emplois (1’000’000[8]) que le charbon (42’000[9]).

Les études les plus récentes confirment l’important potentiel de l’éolien et du solaire venant s’ajouter à la traditionnelle force hydraulique. Et les efforts d’économies d’électricité libèrent du disponible prêt à être investi dans la transition. Une autre possibilité, complémentaire, est l’hydrogène, à condition qu’il soit lui aussi issu d’électricité renouvelable. Il s’agit dès lors de développer les énergies renouvelables tout en optimisant leur bilan écologique. À ce sujet, ce tableau énonce un certain nombre de points d’attention.

Passer de la pensée linéaire à une approche multicritère et évolutive

Concluons la mise en avant de la nécessité d’une approche systémique par la question controversée de la voiture électrique.

Tout d’abord il convient d’observer le rendement énergétique : celui du moteur électrique est le triple du moteur à explosion[10]. Puis il faut analyser le besoin de déplacement et les moyens d’optimiser celui-ci. Enfin il s’agit de faire un écobilan global. Mais pour commencer, rappelons-nous que la Suisse a électrifié très tôt son réseau ferroviaire, en construisant des barrages dédiés dès les années 1910[11], et que les dernières locomotives à vapeur en service régulier, fonctionnant au charbon importé, ont été retirées en 1960. A priori, électrifier les transports routiers relève de la même démarche.

Actuellement le secteur des transports est responsable de 38 % du CO2 émis depuis le territoire suisse ; comme les transports ferroviaires sont entièrement électrifiés, il s’agit donc essentiellement des transports routiers[12], d’autant plus que pour l’aviation, seules sont comptabilisées au bilan national les émissions des vols domestiques, marginaux en Suisse par rapport aux vols internationaux au départ ou à l’arrivée en Suisse.

La première exigence est que l’électricité utilisée pour recharger les batteries soit d’origine renouvelable, car sinon on n’aura fait que déplacer le problème.

La deuxième est de réorganiser la mobilité, avant d’y injecter notre précieuse électricité renouvelable. 43% de nos déplacements en voiture se font pour nos loisirs[13] et 17% pour nos achats ; les déplacements professionnels ne représentent qu’un quart des trajets (27%).

En tout cela, il s’agit de questionner les nécessités et les habitudes. Par ailleurs, le taux d’occupation moyen d’une voiture en Suisse est de 1,53 personne[14] sur une capacité de 4 à 5 personnes, qui reste donc pour l’essentiel en friche. Enfin, la puissance du parc automobile augmente continûment, et 50% des nouvelles immatriculations sont des SUV[15] émettant 10,7% de plus de CO2 que les catégories moins motorisées.

Par quantités véhiculées, les transports publics et en particulier ceux sur rail sont beaucoup moins consommateurs d’énergie (et d’espace) que la voiture ou le camion[16] – sachant que cet écart va se réduire en fonction de la généralisation de la voiture électrique ; toutefois pour l’accidentologie ou l’accaparement de l’espace cela ne change rien.

Concernant les courtes distances, la marche et le vélo offrent un bon potentiel de progression[17]. Toutefois, selon où l’on habite, où l’on doit se rendre et quand, il restera toujours une place pour l’automobilité – mais redimensionnée dans son rôle et son ampleur, et aussi dans la puissance des véhicules. Il ne faut donc pas présenter l’électrification de l’automobilité comme une simple substitution d’une énergie par une autre qui laisserait inchangé tout le reste, mais comme une pièce du puzzle d’une mobilité revisitée. À cet égard, les immenses Tesla ne sont pas les meilleurs exemples d’une transition réussie…

Un autre point est le bilan écologique et social de la voiture électrique. Les voitures électriques utilisent de nombreux métaux, en particulier les batteries, déplaçant le problème du pétrole vers les minerais. C’est là que la transition doit faire coup double, ou triple: quitter le fossile, mais conduire à recycler la matière, en l’occurrence les constituants de la mobilité électrique, en actionnant le modèle de l’économie circulaire; les métaux sont quasiment indéfiniment recyclables et doivent l’être[18], c’est tout l’enjeu du passage de l’économie linéaire et extractiviste (j’extrais, je raffine, je consomme, je jette) au bouclage des boucles de la matière, et de son financement, car actuellement le fonctionnement linéaire est souvent plus rentable que le fonctionnement en cycles.

Ce qui nous renvoie à la question des externalités : celles positives ne sont pas suffisamment reconnues au niveau du marché, et celles négatives pas reflétées dans les prix. Il s’agit également de faire pression pour améliorer les conditions écologiques et sociales du recyclage et de l’extraction. Aligner écologie, économie et social est bien un des fondamentaux de la durabilité ! A ce sujet le rejet, fin février, par le Conseil Européen du projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises par rapport à leur chaîne de valeur ne doit pas être le dernier mot de l’UE[19].

Par ailleurs, la technologie évolue constamment et les métaux constituant la batterie peuvent évoluer et évoluent déjà[20]. Or, curieusement, les mêmes qui assurent que «la science» va trouver des réponses aux risques du nucléaire ne croient pas trop qu’elle pourra mobiliser des matières moins problématiques pour actionner la mobilité électrique, objectif pourtant nettement plus réaliste…

[1]Pour un compte-rendu de la COP 28 : Bulletin des Négociations de la Terre, vol. 12, N° 842, Institut international du développement durable (IISD), Winnipeg (Canada), décembre 2023
[2]www.uvek.admin.ch/uvek/fr/home/detec/votations/votation-concernan-la-loi-sur-l-energie/de-quoi-s-agit-il.html
[3]www.admin.ch/loi-sur-le-climat
[4]www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/approvisionnement/statistiques-et-geodonnees/statistiques-de-lenergie/statistique-globale-de-l-energie.html/ et www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-97643.html Attention : comme une partie de l’électricité consommée en Suisse est importée, selon les moments de l’année, les sources (hydraulique, nucléaire solaire et éolien) de la production nationale ne sont pas identiques avec celles de la consommation nationale.
[5]www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2023/2301/fr
[6]www.ffw.ch/fr/nouvelles/signatures-remises-a-la-chancellerie-federale/
[7]Voir aussi www.pronatura.ch/fr/2023/lacte-modificateur-unique-permet-daccelerer-la-transition-energetique-mais-au-prix-de
[8]www.irena.org/Data/View-data-by-topic/Benefits/Renewable-Energy-Employment-by-Country
[9]https://fred.stlouisfed.org/series/CES1021210001
[10]Voir par exemple : https://beqtechnology.com/blog/differences-moteur-electrique-et-moteur-combustion/
[11]www.bav.admin.ch/bav/fr/home/publications/oft-actualites/editions-2022/edition-mars-2022/1.html
[12]www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/accidents-impact-environnement/impact-environnement.html#-1371462205
[13]OFS, Comportement de la population en matière de mobilité, Résultats du microrecensement mobilité et transports 2021, Neuchâtel 2023 p. 42-43
[14]OFS, Comportement de la population en matière de mobilité, Résultats du microrecensement mobilité et transports 2021, Neuchâtel 2023 p. 53
[15]OFEN, Energieverbrauch und Energieeffizienz der neuen Personenwagen und leichten Nutzfahrzeugen 2022, Berne 2023, p . 36
[16]www.organisator.ch/fr/general/2016-08-25/energieeffizienz-schiene-schlaegt-strasse-um-faktor-5/
[17]OFS, Comportement de la population en matière de mobilité, Résultats du microrecensement mobilité et transports 2021, Neuchâtel 2023
[18]www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-94311.html
[19]www.novethic.fr/non-classe/devoir-de-vigilance-europeen-blocage?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=victoire-pour-la-biodiversite-le-devoir-de-vigilance-rejete-le-label-b-corp-dhavas-menacele-recap-du-1er-mars-188
[20]www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/quels-materiaux-pour-les-batteries-du-futur-119115/

Conditions d’utilisation : ce texte peut être utilisé et partagé aux conditions suivantes :
– créditer l’auteur(e)
– fournir le lien du texte sur le site de la Fondation
– ne pas l’utiliser à des fins commerciales.

Version pdf: Article – Energies renouvelables et biodiversité

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *