Recension

MARTIN, Jean (2024) : Planète, état d’urgence– Les réponses de la durabilité. LONGET, René (2024). Ed. PPUR, 208 p. ISBN 978-2-88915-563-7

 

 

René Longet, bien connu en Suisse romande et au-delà, ancien parlementaire fédéral, engagé dans la vie civique, civile et associative, est une des voix et des plumes qui s’expriment régulièrement dans les médias, sur les enjeux auxquels nous sommes gravement confrontés, tels que, entre autres, la durabilité de notre modèle de vie, nos modes linéaires de production et de consommation, l’érosion de la biodiversité, les dérèglements climatiques et leurs relations avec l’économie.

Il publie dans la collection « Savoir suisse » la quatrième édition de son livre intitulé à l’origine « Planète, sauvetage en cours ». Sous une forme ramassée, cet ouvrage substantiel évoque les multiples dimensions des défis à relever pour que notre planète puisse accueillir encore à l’avenir une humanité. Beaucoup de faits, chiffres, références, dressant un état des lieux, et faisant le point des mesures déjà prises – insuffisantes – et sur les perspectives.

Un ouvrage complet, bien structuré, nourrissant, en sept parties intitulées :

  1. Gros temps sur la planète ;
  2. La durabilité : reprendre le contrôle ;
  3. Trente ans d’engagements internationaux ;
  4. La transition : un combat,
  5. Pour une économie écologique et sociale,
  6. La durabilité au niveau national : la Suisse en question,
  7. La durabilité, un humanisme pour notre temps. Le tout nourri d’une importante bibliographie.

Plusieurs points ont particulièrement retenu mon attention :

  • L’auteur commence par évoquer – on ne le fera jamais assez – les rapports compliqués entre développement et environnement. L’un et l’autre paradigmes devraient aller logiquement de pair ; il n’en est rien le plus souvent. Penser « développement », se limiterait encore bien trop souvent à se fonder sur des indicateurs quantitatifs, de type PIB par exemple, au détriment des aspects qualitatifs. Le développement ne peut en effet se résumer à la croissance, au risque de téléscoper la biosphère, sa nature et ses limites. Plus avant, le développement, tel que très souvent conçu et pratiqué, ne contribue en rien à la réduction des inégalités, la Grande Plaie de notre monde ; bien au contraire, il contribuerait à les accroître. Les besoins vitaux de plus de la moitié des habitants de la planète, ne sont pas adéquatement satisfaits alors que, avec une autre vision et d’autres modalités de gouvernance, nous aurions à l’évidence les moyens de satisfaire les besoins de tous.
  • À propos des ressources et de l’accent mis aujourd’hui dans les efforts de sensibilisation sur le Jour du dépassement (Overshoot Day), un sous-titre : « La Terre ne peut donner que ce qu’elle a » (p. 20 et suivantes). Formule à rappeler et promouvoir.
  • Un autre rappel nécessaire : « Art du bon usage de notre Terre, le développement durable n’a pas pour origine première une approche environnementale. A sa source se trouvent les aspirations des pays du Sud, dans le sens d’une exigence de justice » (p. 37).
  • Parmi les démarches initiales (qui n’ont pas été suivies d’effets suffisants et suffisamment rapides), est citée la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, instituée en 1983, sous la présidence de la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Son rapport « Notre avenir à tous » (1987) le soulignait : « Il n’y a pas une crise de l’environnement, une autre du développement, une autre énergétique. Non, de crise il n’y en a qu’une » (p. 47). Le fait est qu’on a plus que jamais besoin de réfléchir et travailler en termes systémiques.
  • J’ai été particulièrement intéressé par la section « Aux sources philosophiques de la durabilité » (p. 57), consacré aux bons esprits, penseurs et visionnaires modernes, inspirant la pensée écologique actuelle dont nous tirons la substance qui nourrit nos réflexions personnelles.
  • La partie 3 de l’ouvrage décrit les démarches menées au cours des décennies pour que le dérèglement climatique retienne l’attention qu’il nécessite impérativement, et pour que soient mises en œuvre des actions correctrices. Avec un inventaire des conventions, accords déclarations y relatives au niveau international – dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) le plus souvent.
  • « La transition vers la durabilité n’a jamais été un long fleuve tranquille. Trop souvent réduite à une simple juxtaposition de l’économie, de l’écologique et du social, elle a été privée d’une bonne partie de son mordant » (p. 103).
  • Edgar Morin dans son ouvrage « la Voie – pour l’avenir de l’humanité », dressait en 2012 un tableau sévère de la classe politique qui, selon le philosophe, « n’a plus de pensée, plus de culture. Privée de pensée, elle s’est mise à la remorque de l’économie qui croit résoudre les problèmes par la compétition » (contre toute évidence ! – remarque du recenseur) (p. 106).
  • La partie 4 se concentre sur l’état de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de l’ONU (adopté en 2015) et ses 17 Objectifs de Développement Durable (ODD). Le rôle que pourraient jouer les peuples autochtones (si on le leur permettait, avec leurs valeurs et leurs modes de vie proches de la nature et de la sobriété, est relevé aux pages 109-110.
  • « L’un des côtés frustrants de l’Anthropocène est que, bien que nous ayons davantage de pouvoir pour influencer notre avenir, nous n’avons pas nécessairement plus de contrôle sur celui-ci » (p. 113).
  • Une dimension évidemment nécessaire, impérative : « Être durable dans sa vie personnelle » (p.121).
  • Sous le titre « La nature travaille pour nous » (p. 126), l’auteur souligne à quel juste titre l’importance des services écosystémiques que la biosphère nous rend. Page 135, une section « Pour une économie de l’utilité, de l’inclusion et du bien commun  » (à l’inverse de ce qui risque de se passer aux Etats-Unis au cours des prochaines années ! – cette recension est rédigée au lendemain de la réélection de Donald Trump). L’auteur traite ensuite d’économie circulaire, de commerce équitable, d’économie sociale et solidaire, de finance durable. Sur ce dernier point, un exemple crasse du négationnisme chez certains : « Certains États américains ont proscrit les approches durables, réactivant la doctrine selon laquelle la seule mission d’une entreprise serait d’assurer le meilleur rendement financier aux investisseurs ».
  • La partie 6 décrit les évolutions récentes observées en Suisse en matière de durabilité. Notamment la Stratégie pour le développement durable 2030, adoptée par le Conseil fédéral en 2021 et relayée aujourd’hui par le Plan d’action y relatif pour la période 2024-2027[1]. Comme partout ailleurs cela ne va pas assez vite, mais les choses bougent néanmoins. Avec son Code suisse de bonnes pratiques révisé en 2023[2], la faîtière Economie suisse se rallie prudemment à la shareholder value, en affirmant que : « L’activité est durable lorsque les intérêts des différentes parties prenantes dans l’entreprise sont pris en considération et que les objectifs économiques, sociaux et écologiques sont poursuivis dans leur ensemble. » (p. 174). Les enjeux et efforts nécessaires dans l’agriculture et le bâtiment sont discutés.
  • Pour conclure : « Une société qui se fonde sur des énergies non renouvelables sape ses propres bases. Le modèle des Trente Glorieuses ne tient plus ses promesses (…) Plus récemment, s’est ajoutée une nouvelle donne : la montée des régimes autoritaires. L’adhésion à la manière forte se répand, centrée sur l’égoïsme national et sans pitié pour la nature  » (p. 185).

Avec un tel titre « Les réponses de la durabilité », l’on peut vivement espérer que la durabilité fournisse rapidement des réponses adaptées.

Comme mot de la fin et malgré un futur proche qui n’apparaît pas particulièrement riant, l’auteur de la présente recension souhaite emprunter aux « Grands-parents pour le climat – Suisse », dont René Longet est un ami, son engagement personnel tel qu’exprimé par l’association en novembre 2024, à l’occasion de son dixième anniversaire : « On continue ! ».  On continue malgré toutes les difficultés, voire les menaces qui pèsent sur notre (sur)vie.

En réalité, il n’y pas d’autre voie possible, si l’on veut que ce futur ait un avenir …

[1] https://www.are.admin.ch/are/fr/home/media-et-publications/communiques-de-presse/medienmitteilungen-im-dienst.msg-id-99779.html.

[2] https://cdbf.ch/1284/.

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Version pdf: Recension – Planète, état d’urgence

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