Recension

MARTIN, Jean (2023) : Ethnographies des mondes à venir. DESCOLA, Philippe et PIGNOCCHI, Alessandro (2022). Ed. Seuil, coll. Anthropocène 2022, 176 p. EAN 9782021473018

 

C’est le titre d’un très stimulant ouvrage tout récent, de Philippe Descola et Alessandro Pignocchi*. Le premier est un éminent anthropologue, auteur de contributions fondamentales (« Les lances du crépuscule »,  « Au-delà de nature et culture »). Le second est chercheur scientifique et auteur de BD (!), qui s’est beaucoup intéressé à des groupes amérindiens amazoniens, les Schuar (alors que Descola a vécu lui trois ans chez des Achuar).   Pignocchi a aussi vécu l’épopée de la ZAD de Notre-Dame des Landes, près de Nantes, d’où il tire des enseignements.

Ils publient un livre à deux voix, enrichi de pages de BD mettant en scène le président Macron et quelques-uns de ses ministres devenus des écologistes profonds, ceci dans des dialogues hilarants.

La grande thèse de Descola présentée et discutée au cours des pages est une critique du dualisme qui veut distinguer fermement l’espèce humaine de son milieu de vie en séparant nature et culture. « Le concept de nature, loin de désigner une réalité objective, est une construction sociale de l’Occident moderne. La plupart des autres peuples se passent de la distinction nature-culture et organisent de manière toute différente les relations entre les humains et les autres êtres vivants » (p.7).  Le naturalisme, dans l’acception qu’il adopte, est cette position où on insiste sur et on maintient ce dualisme. En effet, au sens de auteurs, nature et culture sont totalement (em)mêlées dans ce que nous sommes et ce que nous vivons. Nous faisons partie intégrante de la vie sur Terre (physiquement, biologiquement comme socialement et culturellement), ni plus ni moins.

« Cela ne veut pas dire toutefois qu’il ne faut pas protéger ce qui peut encore l’être … » rappelle prudemment Pignocchi en avant-propos.

Cette notion est essentielle aujourd’hui, alors que la biosphère est complètement altérée, déréglée, bouleversée, particulièrement par l’utilisation massive, depuis deux siècles mais surtout au cours du dernier, des combustibles fossiles. Combustibles qui ont permis des avancées technologiques importantes et les succès d’un système sociétal libéral. Mais qui nous ont mis dans une situation de déséquilibres majeurs devenant une glissade (l’Emballement) irréversible. L’historien des sciences et sociologue Bruno Latour (mieux connu et plus influent chez les Anglo-Saxons que chez ses propres compatriotes) en parle remarquablement.

Dans la foulée : « Les Achuar et d’autres peuples offrent un vivant démenti à l’idée d’une universalité de l’Homo oeconomicus réputé obsédé par la recherche d’une maximisation de ses avantages économiques » (p. 123). En réalité, les limites (l’inanité parfois) de la prétendue rationalité constante de l’individu saute aux yeux dans tant de circonstances où il est poussé/désorienté par des facteurs perturbant lourdement son autonomie (publicités massives et trompeuses, réseaux sociaux, influenceurs). Mais nous sommes tellement obnubilés par l’idée reçue de rationalité que peu en tirent les enseignements.

Dans ces « Ethnographies », sur la base de leur refus argumenté du dualisme, les auteurs brossent des perspectives de réformes, de mutations, de notre vie en société – parfois ébouriffantes.  Probablement bien idéalistes vues d’ici mais avec lesquelles il vaut la peine de se familiariser En effet si les choses ne vont évidemment pas assez vite chez nous en termes pratiques de transition énergétique, il est vrai aussi que, au cours des dernières années, la sensibilisation aux enjeux formidables auxquels nous sommes confrontés a significativement augmenté. Chez la plupart des responsables de l’économie et de la politique comme dans la collectivité. Mais il reste loin d’être certain que nous verrons nos élites se muer en « hommes des bois » frugaux ainsi que le décrivent les pages BD de l’ouvrage pour le président Macron et quelques autres… On ne demande toutefois qu’à être surpris par des changement de cœur, d’impulsions et de pratiques et d’éthique chez les décideurs au plus haut niveau, comme chez chacun-e.

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