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Notre santé dépend de la biodiversité. Article de Delphine Gasche paru dans 24 Heures (Lausanne) le 7 septembre 2024
Plus de 160 médecins appellent à voter pour l’initiative biodiversité. La nature est indispensable à l’être humain et il faut lui laisser plus de place, selon eux.
Quand on pense à un médecin, plusieurs images viennent immédiatement à l’esprit. La fameuse blouse blanche immaculée, les gants en latex ou encore le masque chirurgical. Un cabinet ou un hôpital désinfecté jusque dans les moindres recoins apparaissent aussi. Autant de visions à l’opposé de la nature, de sa terre salissante et de ses myriades d’organismes, de bactéries et de microbes. Pourtant, les deux mondes sont intrinsèquement liés.
C’est précisément pour cela que les plus de 160 membres des Médecins en faveur de l’environnement (MfE) lancent lundi un appel à voter pour l’initiative biodiversité soumise le 22 septembre au peuple.
« La biodiversité, c’est le fondement de la vie et de notre santé, explique Bernhard Aufdereggen, président de l’organisation. Homo sapiens n’a pu se développer que grâce à de l’eau propre et de la nourriture fournies par la nature. »
Mais ce n’est de loin pas le seul service que l’environnement rend à l’homme. Il lui permet, par exemple, également de se soigner.
80% des médicaments à base de plantes
« Environ 80% des médicaments sont basés sur des plantes », poursuit le médecin désormais retraité, pointant en particulier les traitements anticancéreux ou encore les thérapies contre la malaria. Le paclitaxel, un agent chimiothérapeutique, est extrait de l’if du Pacifique. On trouve l’artémisinine, un antipaludéen, dans les feuilles et les fleurs de l’armoise. La morphine est, elle, encore fabriquée aujourd’hui à partir du pavot à opium.
Un exemple dans tous les jours ? L’aspirine, issue du saule argenté. Les premières décoctions et préparations, à base de son écorce ou de ses feuilles, datent de l’Antiquité. Hippocrate, médecin grec du Ve siècle avant Jésus Christ, les conseillait déjà pour soulager douleurs et fièvres.
La biodiversité permet encore une meilleure protection contre les maladies. « Les personnes qui ont un accès régulier à la nature développent moins souvent de maladies cardio-vasculaires, du diabète ou de l’obésité que les autres, poursuit le Valaisan. Elles sont aussi moins stressées et moins anxieuses, et font moins de dépression. »
Renforcer le système immunitaire
Jean Martin, ancien médecin cantonal vaudois et membre de MfE, rappelle également que les citadins sont plus souvent allergiques aux pollens que les campagnards. « Plusieurs études réalisées avec des enfants l’ont démontré. De manière générale, les humains sont de plus en plus confinés dans les villes. Ils développement alors divers troubles, notamment le syndrome du manque de nature », point l’ancien élu PLR, devenu militant engagé.
L’octogénaire reconnait l’utilité de l’hygiène. « Ça a été le grand axiome du siècle dernier. Elle nous a permis d’immenses progrès. Mais nous sommes allés trop loin. Nous avons aseptisé notre environnement et notre nourriture avec des pesticides et des antibiotiques. Notre système immunitaire s’en trouve affaibli, car il n’a plus les ressources nécessaires pour se défendre. Et cela fait le lit de certaines maladies. »
Bernhard Aufdereggen abonde : « La biodiversité protège contre des maladies émergentes par le biais de l’effet de dilution. Si de nouveaux agents pathogènes apparaissent dans un écosystème animal et végétal diversité, ils trouvent beaucoup moins de vecteurs compétents. Les êtres humains et les animaux sont alors mieux protégés. Cette protection disparaît dans les écosystèmes dégradés avec peu de diversité, comme les régions avec beaucoup de monocultures. »
Le Valaisan ne cherche aucunement à accuser les paysans. « Je suis fils d’agriculteurs de montagne. Je connais leur travail et leurs efforts. Mais une agriculture intensive utilisant beaucoup de pesticides et d’herbicides est problématique. Elle menace la santé des hommes et de la planète. » D’autre part, il faut aussi et surtout amener la nature dans la ville. « Il faut créer plus de parcs et d’espaces verts », estime le septuagénaire.
Les médecins n’exagèrent-ils pas ? La Suisse regorge de montagnes, de rivières et de paradis verts. La biodiversité est bien présente et protégée. La Confédération à elle seule consacre chaque année 600 millions de francs à la biodiversité. L’initiative allongerait la facture de 400 millions. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle le Conseil fédéral et la majorité bourgeois du parlement rejettent l’initiative.
« C’est vrai qu’on a déjà pris des mesures, reconnaît Jean Martin. Mais ce n’est pas assez. Le problème, c’est qu’on ne veut pas voir la gravité de la situation. Démontrer les ravages de l’alcool, de la drogue ou de la violence est facile. Les dégâts de l’absence de biodiversité sont beaucoup plus subtils. Beaucoup nient alors le problème. »
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