Recension

MARTIN, Jean (2025) : Le long combat de Aînées pour le climat. PEARSON Sevan (2025). Ed. Savoir Suisse/ EPFL Press, Lausanne, 195 p. EAN : 9782889156733

 

Avancées dans la justice climatique – Une publication nécessaire et bienvenue

Il y a un an, le 9 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rendait un arrêt historique[1] condamnant la Confédération helvétique pour manque à ses obligations relativement aux conséquences du changement climatique[2] ; elle donnait ainsi raison aux Aînées pour le climat (Klima-Seniorinnen)[3] qui ont démontré que leur droit n’était pas respecté au risque de menacer leur santé et leurs conditions de vie. Le Parlement, suivi par le Conseil fédéral, s’est alors ridiculisé, arguant que la CEDH avait outrepassé son mandat. Réaction « du chien qui a reçu le caillou », inepte. Réfutant cette décision, la droite tellement attachée à l’Etat de droit, donnait dans la désobéissance civile qu’elle reproche tant aux militants.

Début mars 2025, le Conseil de ministres du Conseil de l’Europe, rejetant la prétention contraire du gouvernement fédéral, a confirmé que la Suisse avait manqué à ses obligations en la matière. Surprise… la presse suisse s’est montrée remarquablement « sobre » (muette ?), dans la diffusion de cette décision. The Guardian en revanche a réagi le 7 mars 2025 (merci à ce très estimable journal !).

Dans la foulée, Savoir suisse édite le livre de Sevan Pearson, journaliste et historien, consacré à cette saga des Aînées pour le climat. L’ouvrage analyse en détail les huit années d’efforts de cette association, les rebuffades également des beaux esprits conservateurs et contempteurs condamnant ce qu’ils considéraient comme un activisme féminin décalé, la persévérance des plaignants enfin.

Restitution d’une épopée, l’ouvrage revient sur l’argumentaire juridique robuste développé par l’association devant la Convention européenne des droits de l’homme ; il reprend dans son ensemble les principaux griefs présentés par les Aînées et leur équipe juridique, aux étapes successives de cette saga, devant les tribunaux suisses, puis à la CEDH. Au fil des pages, apparaissent de larges mentions aux échos médiatiques de l’affaire, ici et ailleurs, ainsi que des extraits d’entretiens avec les principaux protagonistes. Au final, un parcours substantiel de huit ans, constellé d’efforts de sensibilisation faisant écho à la conviction des Aînées, et bâti autour d’une démarche juridique ciblée et sophistiquée des avocat-es de l’association ; un travail gigantesque, polyvalent et multiforme (un vrai roman à suspense, au meilleur sens du terme).

C’est au sein de Greenpeace, avec grâce au rôle majeur de l’expert climatique Georg Klingler, que l’histoire a commencé, quand, dans la foulée de l’affaire Urgenda[4], l’association a cherché de quelle manière et sur la base de quels moyens juridiques, une action juridique pouvait être initiée devant les juridictions suisses, avec quelques chances de succès. Au parlement fédéral, les Vert-es se sont montrés très intéressés, notamment Anne Mahrer, conseillère nationale à l’époque, l’avocat Luc Recordon, conseiller aux Etats, et Raphaël Mahaim[5], député vaudois puis conseiller national. Un cabinet zurichois joue un rôle important dans cette affaire, représenté par Ursula Brunner, avocate confirmée et Cordelia Bähr, spécialiste du droit du climat et de l’environnement, autrices de l’analyse juridique qui fondera par la suite l’argumentaire des Aînées et accompagnera l’association jusqu’à son audition en 2023 devant la CEDH, puis à son succès en 2024[6].

Après réflexion, c’est la santé de femmes de plus de 75 ans, affectée de façon excessive par les canicules des années passées, notamment celle de 2003, et par les pollutions en particulier de l’air, qui est apparue comme la bonne entrée contentieuse (il s’agit aussi d’un groupe d’acteurs bien défini).

L’Association des Aînées pour la protection du climat voit le jour en mars 2016, co-présidée par Rosmarie Wydler-Wälti et Anne Mahrer. Le livre évoque de nombreuses autres personnalités ayant œuvré activement, à divers titres, dans l’association, et coconstruit ses engagements ; plusieurs d’entre elles deviendront emblématiques au cours des années qui suivront.

L’action judiciaire démarre fin 2016. Les Aînées demandent que la Confédération agisse selon les principes de prévention et de durabilité, dans le respect des droits fondamentaux et de l’Accord de Paris de 2015, en se référant aux travaux du GIEC. L’association adresse une requête de 150 pages au Conseil fédéral, associée à quatre autres requêtes individuelles présentées par des personnes souffrant de problèmes de santé pertinents : une double stratégie est ainsi mise en œuvre.

Le département fédéral de l’énergie et de l’environnement (DETEC) refuse d’entrer en matière, à l’appui d’une longue réponse négative formulée avril 2017. S’ensuit un recours au Tribunal administratif fédéral, qui rejette les requêtes en décembre 2018, puis un recours au Tribunal fédéral, lui-même rejeté en mai 2020[7]. Déçues mais non découragées, les Aînées et leurs défenseures n’ont d’autres voies que de s’adresser à la CEDH. La décision est prise en ce sens à mi-2020, en plein période covid ; la requête est formellement déposée à Strasbourg le 26 novembre 2020, incluant, entre autres, des données sur les morts excédentaires causées par les canicules (un millier en 2003).

« Le long combat » poursuit et décrit en détail les épisodes strasbourgeois. Surchargée, la Cour doit faire un examen préalable et prioriser les affaires. Premier signe encourageant, elle admet la requête en mars 2021, et lui accorde un traitement prioritaire. Au plan national malheureusement, un mauvais signal pour le climat est donné par le refus populaire de la loi CO2, à une majorité de 51,6% des électeurs, le 13 juin suivant.

S’ensuivent des va-et-vient juridiques entre Strasbourg et l’Etat fédéral, provoquant l’intérêt croissant des pays étrangers et instances internationales et conduisant notamment à une manifestation de soutien de Michelle Bachelet, Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme.

En avril 2022, la CEDH annonce que la requête sera traitée par sa Grande Chambre et ses dix-sept membres, … une « exception à la règle ». L’audition publique du 29 mars 2023, constitue un moment majeur de l’épopée à laquelle, outre l’équipe juridique au complet, participe une bonne délégation des membres de l’association. Les plaidoiries pour les Aînées sont fortes, comparées à la réponse terne du représentant du Gouvernement.

Le chemin est long mais l’issue se rapproche. Dans un délai plus court que ce qu’on pouvait craindre, la CEDH, rend son arrêt le 9 avril 2024, et donne raison aux Aînées sur une grande part de sa requête, suscitant un intérêt très important au plan international. Les dernières sections du livre résument le contenu de l’arrêt, la déferlante médiatique, puis les conséquences de cette décision.

Pour certains politiciens vexés et juristes formalistes, la CEDH aurait outrepassé son mandat. Maints experts font une tout autre analyse de cet arrêt et y voient un nouvel élan vers une justice climatique prenant en compte les droits humains et le rôle protecteur de l’Etat face aux risques naturels et à la pollution. Sans les refus successifs des autorités judiciaires suisses, les Aînées n’auraient pu saisir la CEDH et donner à leur démarche cette aura/visibilité internationale !

L’ouvrage conclut ainsi : « En obtenant en grande partie gain de cause à Strasbourg, les Aînées ont écrit une page de l’histoire de la justice climatique. Ce n’est sans doute pas la dernière ».

« Le long combat des Aînées pour le climat » est le récit journalistique d’une histoire juridique et sociétale exemplaire et marquante. Fourmillant d’informations, bien structuré, et grâce à une présentation aérée et des encarts utiles, l’ouvrage se lit agréablement.  À recommander.

[1] Affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse (https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22languageisocode%22:[%22FRE%22],%22appno%22:[%2253600/20%22],%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-233258%22]}.

[2] Sur le sujet, se reporter au communiqué de presse de la Fondation (https://biosphereetsociete.org/).

[3] https://www.klimaseniorinnen.ch/.

[4] https://www.dalloz-actualite.fr/flash/suite-et-fin-de-l-affaire-urgenda-une-victoire-pour-climat.

[5] Sur la personne : https://books.openedition.org/dice/11113.

[6] Sur le sujet : https://www.researchgate.net/publication/327700257_KlimaSeniorinnen_lessons_from_the_Swiss_senior_women%27s_case_for_future_climate_litigation.

[7] Arrêt 1C_37/2019 du 5 mai 2020.

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