LONGET, René (2025): Le populisme, fossoyeur de l’écologie
Ainsi donc, avec la disparition en peu de secondes du village valaisan de Blatten, la Suisse a ses premiers réfugiés climatiques. Et déjà le débat est lancé, en particulier dans les médias suisses-alémaniques, sur une question inouïe dans ce pays si attaché à la symbolique montagnarde : l’habitabilité de vallées de plus en plus menacées par la fragilisation du permafrost. Les coûts de protection et de réparation effraient, alors qu’un pan entier du secteur touristique est ébranlé.
À première vue, cette catastrophe ne semble toutefois pas déclencher un engouement soudain pour les politiques de prévention climatique. Pas plus que dans le monde les incendies massifs de forêts et les inondations majeures de ces dernières années n’ont permis de développer une adhésion populaire à l’action à la source.
Comme si de rien était, le parc automobile croît en puissance et en quantité, les énergies renouvelables sont contestées bien davantage que le fissile et le fossile, l’argent manque pour assainir les passoires énergétiques, l’aviation poursuit son expansion. Paradoxe : en Suisse, c’est dans les régions de montagne que le refus, lors de votations, des lois fédérales et cantonales sur l’énergie et le climat a jusqu’ici été le plus fort. Ainsi la sortie de l’Accord de Paris a-t-elle été demandée par un élu de l’Oberland Bernois…
Malgré les catastrophes, le populisme rafle la mise
En effet, les catastrophes qui se sont déjà produites et les perspectives de leur multiplication semblent n’avoir guère d’impact sur les comportements individuels et collectifs. Le courant politique populiste, radicalement opposé à toute mesure environnementale, a le vent en poupe et a porté au pouvoir, aux Etats-Unis comme au Parlement européen – et en France suite à la dissolution de l’Assemblée nationale voici une année – une politique décomplexée de démolition écologique. La liste est longue et va de la réautorisation de pesticides tueurs de pollinisateurs à la consolidation de l’option pour le nucléaire, le transport routier et une croissance purement quantitative.
À ce jour aucune parade n’a encore été trouvée à la division « culturelle » de la société entre villes et campagnes, périphéries et centralités, « bon sens terrien » et « imposture technocratique », entre « ceux qui savent » et « ceux qui subissent ». La promotion de l’exigence écologique sous forme d’injonctions perçues comme moralisatrices ou d’affirmations péremptoires selon lesquelles il faudrait « tout changer ou disparaître » a puissamment renforcé le rejet des porteurs de mauvaises nouvelles. Tout comme la perception des mesures sanitaires prises durant la pandémie comme autant d’atteintes illégitimes et injustifées aux libertés personnelles a puissamment décrédibilisé la science et les scientifiques auprès d’une bonne partie de l’opinion. Depuis, les « faits alternatifs » ne cessent de polluer les débats et l’on s’attribue le droit de « croire » ou non au rôle du CO2 dans la déstabilisation du climat.
Une piste : contextualiser l’écologie
Que faire alors ? Un double travail s’impose à nous. D’une part, la réhabilitation de la méthode scientifique. Ce qu’elle permet de constater et d’affirmer, toujours sous réserve de nouvelles découvertes, a sa pleine légitimité et validité dans sa sphère. Sinon on se comporterait comme ces imitateurs au Moyen-Âge du vol des oiseaux qui s’accolaient des ailes puis se jetaient du haut de tours ; aucun n’a survécu. D’autre part, la remobilisation de notre lien intrinsèque au monde, en nous rappelant que tout ce que nous faisons à la nature (qu’elle soit minérale, végétale ou animale), nous le faisons aussi à nous-mêmes. De travailler à retrouver ce sentiment d’unité, dont nous avons cru bon de nous priver.
Ces approches ne sont pas contradictoires mais parfaitement complémentaires. Sur ce socle il est possible de bâtir une relation pacifiée avec notre « environnement », terme trompeur car minimisant ce qui en réalité est le socle du vivant, au coeur duquel nous nous trouvons.
Sur un autre plan, il s’agit de marteler que pour presque toutes les activités économiques, il existe aujourd’hui des bonnes pratiques concrétisant les critères de la durabilité. On sait produire des aliments, habiter, se déplacer, se chauffer, de manière écologiquement et socialement responsable ; on sait comment passer d’une économie linéaire à une économie circulaire, ou de réhabiliter la forêt, les sols et le cycle de l’eau – toutefois pas les espèces et difficilement les écosystèmes ni les processus environnementaux qui les régissent. Mais ces bonnes pratiques, qui existent aussi en matière d’assurances, de finances et de gestion communautaire, sont largement ignorées du grand public. De nombreuses personnes continuent de diaboliser les énergies renouvelables[1], argumentant qu’elles encouragent l’extractivisme, alors que le remède est connu : le recyclage – possible quasiment à l’infini pour les métaux – et la sobriété dans les usages.
Répondre au désarroi des perdants de la mondialisation
Mais voilà que devant le désarroi des perdants de la mondialisation, le retour à la Conquête de l’Ouest (déjà bien conquis et abimé par ailleurs) et les postures de domination (de l’homme blanc sur tous les autres, de l’homme sur la femme, des humains sur la nature, etc.) font à nouveau recette. Les personnages que les électrices et électeurs propulsent ainsi dans les niveaux de décision collective non seulement détruisent à la hache tout ce qui relève de l’écologie, mais également les programmes d’intégration, d’éducation, de redistribution par l’impôt, de couverture sociale, bref ce qui s’appelle l’Etat social au profit de la débrouille individuelle théorisée en «que le meilleur gagne », alors que les mécanismes d’ascension sociale sont de plus en plus grippés.
Ainsi ce sont les électeurs et électrices qui en ont le plus besoin qui aident à démanteler la protection qu’ils attendent… Les plus démunis, sont conduits à admirer les milliardaires – dont ils ne seront jamais et croient se créer un espace de liberté qui finalement n’est qu’une expression des théories fumeuses de l’autorégulation de l’économie ou du « ruissellement automatique des richesses ». Et les nouvelles « élites » populistes n’ont que mépris pour les outils du multilatéralisme, pourtant seuls à permettre de traiter les nombreuses questions dépassant le périmètre national.
En termes de formation de l’opinion, il est intéressant de noter que différentes modalités de cercles de réflexion citoyenne ont donné des réponses cohérentes et favorables à la durabilité, pour peu que les participant.e.s aient été mis en situation de pouvoir disposer d’une documentation complète et d’un temps suffisant pour l’examiner et en débattre de manière contradictoire et argumentée. L’exemple le plus connu est la Convention citoyenne pour le climat, instituée en 2019 en France, au lendemain du mouvement des Gilets jaunes. Belle innovation institutionnelle, qui a été toutefois entachée par la rupture de la promesse présidentielle d’en mettre en œuvre les conclusions, accentuant la défiance envers les décideurs politiques inféodés aux lobbies court-termistes.
A l’inverse de ces processus d’analyse et de réflexion collective, toute une galaxie médiatique est actuellement à l’œuvre pour entretenir la frustration, la colère et le ressentiment, et tournent ces énergies négatives vers des ennemis imaginaires et des fixations idéologiques simplistes, formidable régression collective.
La durabilité au secours de l’écologie
Presser le citron jusqu’à la dernière goutte pour transformer la nature en monnaie sonnante et trébuchante, de plus en plus inégalement répartie d’ailleurs, semble être la voie choisie par l’alliance mortifère du national-populisme et du néolibéralisme. Ainsi, des 9 limites planétaires identifiées voici une quinzaine d’années, 7 sont franchies ou en passe de l’être, et cette année le jour du dépassement intervient le 24 juillet, date après laquelle l’humanité vivra à crédit (sur le dos des plus démunis et des générations à venir).
Cette alliance ne pourra être détricotée qu’en soulignant les avantages économiques et sociaux d’une politique de durabilité. À défaut, la course constante à la compétitivité ne sera qu’un nivellement continu par le bas, appelant un souhait de protectionnisme bien illusoire devant le degré d’interdépendance des économies et des territoires.
Tout comme il s’agit de réhabiliter chez l’individu tant l’approche scientifique que celle holistico-spirituelle, il s’agit de réhabiliter au niveau du collectif l’exigence d’un cadrage aussi universel que possible de l’économie. Celle-ci doit cesser de saper ses propres bases, à savoir les fonctionnements des systèmes naturels qui la rendent possible, et s’en tenir à une hiérarchie des besoins, qui est sa seule légitimité. Or aujourd’hui, seuls comptent ceux qui ont les moyens de participer au marché ; en sont ainsi exclus d’une part la nature, d’autre part les pauvres de ce monde (la moitié de l’humanité doit se contenter de moins de 6,85 $ par jour, le seuil de la pauvreté défini par la Banque mondiale).
C’est l’occasion de souligner à quel point les comptes sont aujourd’hui faussés. Des activités bénéfiques aux niveaux sociaux et écologiques ne sont pas rentables financièrement (agroécologie, réparation et longévité des objets, transports publics…) et n’arrivent pas à percer au-delà d’un petit cercle de convaincus ; des activités produisant des nuisances écologiques et sociales souvent massives (le fossile, le fissile, le plastique, les molécules toxiques, etc.) ne paient pas les coûts des dommages qu’ils infligent aux personnes et à la planète en général, et profitent ainsi d’une vaste distorsion de concurrence.
La solution s’appelle subvention dans le premier cas, taxation dans le second – le produit des taxes permettant de financer les subventions. Taxes qui doivent être modulées de manière à ne pas accroître les inégalités, mais au contraire à les réduire.
Enfin il s’agira d’insister sur les emplois créés par la transition vers la durabilité. En 2019, l’ONU estimait que la mise en œuvre de l’Agenda 2030 aurait besoin de « 380 millions de nouveaux emplois d’ici 2030 ». D’ores et déjà, les énergies renouvelables occupent aux États-Unis vingt-quatre fois plus de personnes (1 000 000 emplois[2]) que l’extraction du charbon (42 000)[3]. Quant à l’économie circulaire, l’UE estimait en 2021 qu’elle générerait 700 000 postes de travail en Europe d’ici 2030. Dans de nombreux pays, la transition énergétique se heurte à un important manque de main-d’œuvre et, selon l’OIT, présente un bilan positif de 18 millions d’emplois, et de 7 millions d’autres pour l’économie circulaire. Pour la France, le secrétariat à la planification écologique annonçait en février 2024 que si 150 000 emplois seraient perdus d’ici 2030 en raison de la transition écologique, celle-ci en créerait 400 000 nouveaux.
Tout cela était dans les programmes que l’administration Biden et l’Union Européenne avaient commencé à mettre en œuvre. Tout cela est aujourd’hui systématiquement et méticuleusement déconstruit.
Mais tout cela reste la voie à prendre, et qui doit être fermement défendue.
[1]Auxquelles il est, soit dit en passant, tout à fait abusif d’associer le nucléaire…
[2]IRENA (INTERNATIONAL RENEWABLE ENERGY AGENCY) et OIT, Renewable Energy and Jobs. Annual Review 2023, Abu Dhabi / Genève, 2023.
[3]Federal Reserve Economic Data, « All employees, coal mining », https://fred.stlouisfed.org/series/CES1021210001.
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