Recension
MARTIN, Jean (2025) : Une vie pour la Nature. PERROT, Julien (2025).Editions la Salamandre. 336 p. ISBN: 978-2-88958-586-1

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Quand la nature devient … un art de vivre
Comment Julien Perrot vit pour La Salamandre
Une passion, la Nature
Il n’est pas besoin d’être un passionné de nature pour avoir entendu parler, depuis plus de trente ans, de Julien Perrot. Attiré viscéralement dès l’enfance par la nature, les animaux et végétaux qui y vivent – tout dans la nature ! – il a créé vers l’âge de dix ans, pour son école, La Salamandre, petit journal issue de cette passion – entretenue avec et malgré un handicap visuel incomplètement corrigé. A vingt ans, après avoir hésité à s’engager en faculté des lettres, Julien s’est dirigé vers les sciences de la vie, en couplant son plaisir d’écrire à la connaissance et à la rigueur scientifiques.
La Salamandre
Il a ainsi mené sans relâche la démarche Salamandre, étendant son aire de collaboration et de distribution à la France, diversifiant les produits, y compris le Festival Salamandre qui se tient chaque automne à Morges, créant une chaine You Tube « La minute nature », animant une série télévisée « Nos Amis sauvages » et créant les Editions de la Salamandre qui viennent de publier « Une vie pour la nature ».
Plus de soixante textes de quatre – six pages chacun, réunis en trois grands chapitres, « Racines », « Tronc », « Fleurs et fruits ». Des récits vivants, proches du vécu, qui emmènent le/la lecteur/trice avec eux. La plupart du temps à nos portes. Sans permis de conduire et sans voiture, Julien habite près de Neuchâtel et il connait bien le Jura notamment. Plusieurs tours en France. Quelques voyages hors d’Europe, à une époque où la charge carbone de nos activités n’était pas à l’ordre du jour – ou l’était beaucoup moins.
Les oiseaux, beaucoup d’oiseaux et leurs migrations, les abeilles, les pucerons et coccinelles, les grillons, les tritons et bien sûr les salamandres ; le lynx, le loup, l’ours, l’aigle. Beaucoup de nuits sous les étoiles, en sacs de couchage et de bivouac, pour être au plus près d’eux, être là quand ils peuvent se montrer. Le souci permanent de protéger et de ne pas déranger la nature, de lutter contre les disparitions d’espèces et l’homogénéisation du milieu naturel. Attention, connaissances et grand respect de la Nature; ainsi, alors même que le sujet le passionne, Julien renonce à demander à des spécialistes de l’emmener bivouaquer dans telles zones sensibles du Jura pour observer le grand tétras, gravement menacé.
Pour l’auteur de ces quelques lignes, ami de la nature et modeste amateur qui déambule au bord des lacs et rivières, dans la campagne, plus haut dans la montagne, les observations rassemblées dans « Une vie pour la nature » enrichissent très utilement ce qu’il sait déjà un peu, ajoutant des données de valeur à son bagage/réseau/filet de connaissances constitué au fil du temps.
Des itinérances parallèles
Expériences, aventures, pérégrinations, sont la substance de ce livre, entrelacées dans l’histoire personnelle de Julien, d’une part, et celle de La Salamandre, d’autre part. Au milieu des avancées et des satisfactions, ces deux histoires n’ont pas été simples et sans déboires. L’auteur parle en toute simplicité de ses compagnes, d’un mariage difficile et fini « en morceaux », d’une nouvelle famille, de ses trois enfants qu’il adore (après avoir été tenté plus jeune par l’idée, dans le monde tel qu’il va, … de ne pas en avoir) et emmène avec lui. De manière transparente, il décrit aussi les moments où la survie même de l’entreprise, qui avait beaucoup grandi, a été remise en question par une baisse d’intérêt passagère du public, conduisant à des licenciements nécessaires et douloureux. Julien cherche alors fébrilement des soutiens extérieurs de fondations donatrices. Le modèle économique de départ reposant sur les seules recettes d’abonnements, s’ouvre désormais à d’autres produits, excluant toutefois toujours la publicité. La gouvernance de la Salamandre évolue vers une organisation plus holacratique – lui-même prenant du recul – de nouvelles manières de parler au grand public, des publications topiques sur des sujets précis, films, et une entrée sur les réseaux sociaux.
Une voix personnelle
D’aucuns trouveront le propos très/trop personnel… Il reste que, avec l’apport de beaucoup de proches sans doute, ami-es, collègues et collaborateurs/trices, ce récit, autocentré au meilleur sens du terme, appelle au respect.
Quelques citations : « Nous sommes tellement égocentrés que nous prêtons peu d’attention au vivant qui reflue partout autour de nous. Pourtant le lent appauvrissement de la nature ordinaire est aussi grave que la disparition des raretés emblématiques » (p 37). « La beauté n’a pas de prix et pourtant je la vois détruire partout, une prairie bruissante de papillons, transformée en parking, une haie pleine d’oiseaux tronçonnée, un marais à tritons drainé en un clin d’œil… Un peu plus loin de moi, il y a Tchernobyl le 26 avril 1986 puis l’incendie de produits chimiques de Schweizerhalle… » (p. 61). Surprenant : « Un kilo de miel, cela représente la visite de trois à dix millions de fleurs en un trajet cumulé de 60’000 kilomètres, une fois et demie le tour du monde » (p. 146). « Pour les Amérindiens, la nature tout entière est sacrée. En fait, la notion même de nature n’a pas de sens, simplement parce que les êtres humains en font partie intégrante » (p. 232). Rejoignant ici ce que souligne Philippe Descola entre autres. « Chaque crépitement d’insecte, chaque note d’oiseau se teinte d’absolu. Et l’être humain de passage rapetisse à sa juste mesure. Ces horizons nous réconcilient avec quelque chose d’essentiel, qui nous dépasse » (p. 268). « Comment retrouver la joie quand on vit avec la possibilité de la prochaine finitude de notre mode de vie ? Si l’on souffre d’éco-anxiété, les outils de l’éco-psychologie aident à prendre conscience que notre réaction est en soi saine. Ce n’est pas nous qui sommes malades, c’est le système ! Et ce sont ceux qui ne réagissent pas qui sont à côté de la réalité » (p. 262).
Un livre bien écrit, se lisant agréablement, sur une aventure personnelle hors du commun, différente de celles de naturalistes, connaisseurs, vulgarisateurs et experts compétents des divers chapitres du Vivant, que l’on connait habituellement.
Ce n’était pas rien de l’écrire !
Bon vent au bateau et à son capitaine.
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Version pdf : Recension – Une vie pour la nature